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Page:Revue pédagogique, second semestre, 1882.djvu/512

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REVUE PÉDAGOGIQUE

Sauf par le tour de naïveté étudiée qui accuse l’art secondaire de Marivaux, l’Angélique de l’École des mères ne diffère point, par son ignorance absolue des choses de la vie, de l’Agnès de l’École des maris. Et la comédie n’est que la fidèle expression des mœurs : à douze ans, la fille ainée de Louis XV n’avait pas encore parcouru la totalité de son alphabet[1] ; à seize, Mme de Staal-Delaunay, qui avait la passion de la lecture, ne connaissait que les livres de piété de la bibliothèque de son couvent de Saint-Louis[2]. Ce qui inspire à l’abbé de Saint-Pierre l’idée de ses collèges perfectionnés, « c’est, dit-il, que les jeunes filles n’ont point d’autres pensions que les couvents, et que, quant à présent, les couvents ne sont pas assez bien dirigés vers la grande utilité des enfants[3]. » Le passage soudain du cloître dans le monde le trouble, comme il avait troublé Fénelon ; et, si cette inquiétude ne le détache pas du régime du pensionnat, on peut dire que parmi ses contemporains il est presque le seul ; elle les rejette tous vers l’éducation de la famille ou l’éducation privée[4].

Fénélon en avait le premier reconnu l’excellence. Il n’estimait

    fortune, étaient astreintes à la règle de la maison et en portaient l’uniforme. La superbe abbaye de Marquel, en Flandre, recevait toutes les filles riches des provinces environnantes. Chaque demoiselle y avait un appartement ; les visites des hommes abondaient à toutes les grilles, le luxe y était porté à un tel degré, que les marchands de nouveautés s’y transportaient souvent, de Paris même ; les demoiselles se donnaient réciproquement des thés, des soupers ; on luttait de magnificence, et les Flamands regardaient cette école comme nécessaire au bon ton et au bon goût de leurs filles. Saint-Cyr, admirable par la sagesse de son règlement, par le zèle des dames et par la soumission des élèves, avait été placé par une main supérieure au-dessus de tous les dangers qui s’étaient introduits dans les autres monastères. Malheureusement, le respect des dames de Saint-Cyr pour leur première constitution avait trop entravé la marche de l’enseignement. Tout était changé dans le monde, et, du moment que l’on ajoutait quelques talents à l’instruction solide et pieuse des élèves, il était ridicule de les entendre, en 1789, chanter la musique de Lulli et de les voir danser le passe-pied et la forlane, vêtues en habits retroussés, comme du temps de Louis XIV. » (Lettre à Son Excellence le comte de L., 1812.)

  1. Mme Campan, Mémoires.
  2. Mémoires, édit. de F. Barrière, 1831, p. 21 à 23.
  3. Projet pour perfectionner l’éducation des filles, préface.
  4. Locke, vers le même temps, condamne formellement l’éducation publique. (Quelques Pensées sur l’Éducation, sect. VII.) C’est aussi le sentiment de J.-J. Rousseau, qui traite les collèges « d’établissements risibles. »