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Page:Revue pédagogique, second semestre, 1882.djvu/514

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REVUE PÉDAGOGIQUE

sacrifiés : ils sont jetés dans la vie, sans en rien connaître. « Je plains les filles dont les mères ont confié la première jeunesse à des religieuses, comme elles ont laissé le soin de leur première enfance à des nourrices étrangères », fait dire Voltaire à Sophronie, dans son dialogue sur l’éducation des femmes[1]. Diderot[2], Thomas[3], Turgot[4], Bernardin de Saint-Pierre[5] ne sont pas moins décidés dans leur protestation. Le Dictionnaire de l’Encyclopédie en résume l’expression fidèle. « Est-il possible d’admettre que des femmes qui ont renoncé au monde avant que de le connaître soient chargées de donner des principes à celles qui doivent y vivre[6] ? »

Les arguments de sentiment ne sont pas moins fermes, et ils sont plus nouveaux. À Saint-Cyr, les enfants ne voyaient leurs parents que quatre fois l’an, une demi-heure chaque fois, et en présence d’une maîtresse. À Port-Royal, il était défendu de laisser les petites filles au parloir seules, sinon à leurs père et mère. En compensation on pouvait écrire plus souvent à Saint-Cyr qu’à Port-Royal ; mais les modèles de lettres étaient tout faits. Acceptant et forçant la tradition à cet égard, le bon abbé de Saint-Pierre, qui ne peut jamais aller bien loin sans tomber dans la chimère, interdit toutes vacances aux élèves de ses collèges perfectionnés. et enlève complètement l’enfant à la famille. Entrée au couvent, la jeune fille n’en sort que pour se marier. C’est cet usage contre nature que l’on combat. Les femmes le moins préparées à remplir leurs devoirs de mères, Mme d’Epinay, par exemple, se font un grand honneur de garder leurs enfants auprès d’elles et de rédiger pour eux des instructions[7]. J.-J. Rousseau, à qui

  1. Dialogue X.
  2. Jacques le Fataliste ; la Religieuse.
  3. Essai sur le Caractère, les Mœurs et l’Esprit des femmes dans les différents siècles.
  4. Lettre à Mme de Graffigny sur les Lettres Péruviennes.
  5. Discours sur cette question : Comment l’éducation des femmes pourrait contribuer à rendre l’homme meilleur ; Études de la nature, étude XIV.
  6. Dictionnaire de l’Encyclopédie, V° Femme, article de Desmahis.
  7. Lettres à mon fils, réimprimées sur l’édition de 1759, avec une introduction par M. Challemel-Lacour. — Cf. Dupuy, Instructions d’un père à sa fille (1707).