Aller au contenu

Page:Revue pédagogique, second semestre, 1882.djvu/523

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
515
DE L’ÉDUCATION DES FILLES

se rappeler que l’édit qui l’introduisit dans l’enseignement des collèges date de 1695. Nul doute toutefois que ce ne soit plus là le programme de Fénelon.

C’est dans les œuvres de Mme de Lambert qu’il faut en chercher la tradition[1]. Autre chose, il est vrai, est de disserter, comme Mme de Lambert n’a qu’à le faire, et d’appliquer une doctrine, ce qui était le devoir étroit de Mme de Maintenon. Mme de Lambert n’a pas charge d’âmes. Mais, les circonstances de situation mises à part, ses vues appartiennent à un monde, et, comme on dirait aujourd’hui, à un milieu différent. Elles s’appliquent non plus aux jeunes filles de petite noblesse, de noblesse provinciale, pour lesquelles avait été créé Saint-Cyr, mais à ces demoiselles de qualité à qui Fénélon ne refuse pas certains privilèges. De là cette franchise de ton et cette aisance de jugement, qui, dans le mouvement des idées, marquent le progrès, plus sensiblement peut-être encore que le caractère même des programmes de l’enseignement. Aussi discrète que Fénelon à l’égard des œuvres d’imagination, dont elle craint que la lecture « ne mette du faux dans l’esprit », plus rigoureuse même que lui pour Racine, dont elle semble éviter de prononcer le nom, disposée à interdire à sa fille « les spectacles, les représentations passionnées, la musique, la poésie, tout cela étant du train de la volupté », sur le reste, Mme de Lambert se porte en avant et dépasse le maître[2]. Personne avant elle, et personne plus résolument qu’elle, n’a relevé le gant jeté à son sexe par Molière. On reprochait à Cervantès d’avoir précipité la décadence de l’Espagne en amollissant les courages par la peinture des ridicules de la chevalerie ; Molière lui paraît de même avoir perverti la société française en travestissant sur la scène l’éducation des femmes. Elle l’accuse « d’avoir déplacé la pudeur, d’avoir fait que la honte n’est plus pour les vices et que les femmes ne rougissent plus que de leur savoir, de les avoir, en un mot,

  1. « Vous m’avez appris, écrit-elle à Fénelon, que mes premiers devoirs étaient de travailler à former l’esprit et le cœur de mes enfants… J’ai trouvé dans Télémaque les préceptes que j’ai donnés à mes fils, et dans l’Éducation des filles les conseils que j’ai donnés à la mienne. »
  2. Avis d’une mère à sa fille. — Cf. Réflexions sur la femme ; la Femme ermite ; Avis d’une mère à son fils, édition de 1748.