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Page:Revue pédagogique, second semestre, 1882.djvu/542

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REVUE PÉDAGOGIQUE

De même que Poullain de La Barre, M. Stuart Mill réclame l’égalité absolue des deux sexes[1] ; il n’admet pour l’homme aucun privilège, pour la femme aucune incapacité[2]. Le régime d’iniquité appliqué à la femme n’a pour lui d’autre origine que la loi du plus fort, comme l’esclavage. Il reproche à l’homme d’avoir abusivement réglé toutes les conditions de la vie sociale de façon à rendre impossible « la révolte » de la femme contre une tyrannie injustifiable ; son éducation même a reçu une direction qui doit éteindre en elle tout désir, toute pensée d’affranchissement ! Compression violente et d’autant plus cruelle qu’elle s’impose, non pas au nom de la raison, qu’il n’est jamais impossible d’éclairer, mais au nom du sentiment, qui ne se laisse guère discuter. Et quoi de plus superficiel, de plus faux que le sentiment ! Pour maintenir la femme dans « son rôle d’odalisque et de servante », on allègue l’infirmité de sa nature, l’impossibilité pour elle de supporter la fatigue, l’étroitesse de son cerveau, son impuissance à concevoir les idées spéculatives, son défaut d’originalité. À quoi il est aisé de répondre que la faiblesse nerveuse de son tempérament ne tient qu’à ce qu’elle est élevée en serre chaude ; que la physiologie n’a rien découvert jusqu’ici qui frappe de déchéance ses facultés ; que si les vues étendues lui manquent, c’est que, s’instruisant elle-même le plus souvent, et au jour le jour, à ses moments perdus, elle n’est pas exercée à embrasser les idées générales ; que si elle n’a rien créé dans la littérature et dans les arts, c’est qu’elle a trouvé les créations toutes faites par l’homme ; qu’en la confinant, en l’absorbant dans le détail de la vie quotidienne, on la prive de l’instrument de développement le plus puissant, la continuité de l’application[3]. Élevée aussi bien que l’homme, elle pourrait faire tout ce que fait l’homme[4] : c’est le mot de Poullain de La Barre et de Constance de Maistre. Stuart Mill ne se contente pas de réclamer l’égalité des droits dans le mariage ; il ne propose rien

  1. L’Assujettissement des Femmes, par John Stuart Mill, traduit de l’anglais par É. Cazelles. — Cf. Mes Mémoires, histoire de ma vie et de mes idées, traduit par le même.
  2. L’Assujettissement des Femmes, chap. i, p. 2.
  3. Id., chap. iii.
  4. Id., chap. iii, p. 122.