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Page:Revue pédagogique, second semestre, 1882.djvu/544

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REVUE PÉDAGOGIQUE

de malaise où nous laisse celle de Schopenhauer[1]. Pour le philosophe allemand, les femmes ne sont et ne peuvent être que de grands enfants[2]. Enfermé dans le présent, l’homme, par la force de sa raison, se reporte vers le passé et s’étend à l’avenir. La femme est affligée d’une myopie d’esprit qui lui permet bien de pénétrer ce qui est sous ses yeux, mais qui ne lui laisse rien voir au delà. D’où les défauts qui la caractérisent : l’injustice, la dissimulation, l’ingratitude, le manque de foi, tout cet ensemble de faiblesses intellectuelles et morales qui constituent le sexus sequior, le sexe fait pour le second rôle et le second plan. L’éducation n’y peut rien. C’est une infériorité de nature. Schopenhauer veut donc qu’on « remette à sa place ce numéro deux de l’espèce humaine, qu’on supprime la dame, ce fruit malsain de la civilisation européenne. » Il s’appuie de l’autorité de lord Byron, qui, ayant vu, en Épire, des jeunes filles travailler avec succès à l’entretien des routes, demandait, dans une boutade, qu’on s’occupât de les bien nourrir, de les bien vêtir, mais sans les mêler à la société ; ajoutant « que, s’il faut instruire la femme de la religion, lui laisser faire un peu de musique, de dessin, de danse et de jardinage, elle doit ignorer la poésie et la politique, ne lire que des livres de piété et de cuisine ». Pour Schopenhauer, dont le pessimisme amer n’admet guère le sourire comme la brillante raillerie de Byron[3], « il ne peut y avoir sur la terre que des femmes d’intérieur appliquées au ménage, et des jeunes filles élevées pour devenir telles, à leur tour, dans le travail et la dépendance. » On voit ce que peut être, dans ces conditions, l’association du mariage. Schopenhauer se raille de notre hémisphère monogame. Il déclare que le mariage est un piège pour l’homme, qui y perd la moitié de ses droits en doublant ses devoirs, tandis que pour les femmes, considérées dans leur ensemble, la polygamie lui paraît un incontestable bienfait. En cela, du reste, il se défend d’introduire un principe nouveau : « Au fond, dit-il, la polygamie existe par-

  1. Essai sur les Femmes, tiré des Parerga und Paralipomene. traduction de J. Bourdeau.
  2. Id., p. 130.
  3. Voir le Pessimisme au XIXe siècle, par E. Caro, de l’Académie française ; Hachette. 1878.