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Page:Revue pédagogique, second semestre, 1883.djvu/113

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LES PETITES ÉCOLES DE PORT-ROYAL

faire aux autres ; c’est pourquoi on tâchait de les instruire par des actes plus encore que par des paroles : ne voyant que de bons exemples, ils seraient contraints par une force douce et qu’ils ne sentiraient pas ; ils marcheraient sans effort dans une voie où d’autres marchaient devant eux.

Toutes les précautions étaient donc prises pour que, ni par les oreilles, ni par les yeux, rien ne vint blesser la modestie et la pureté si délicates en cet âge. C’était en quelque sorte une première éducation passive, mais dans laquelle on ne s’enfermait pas. S’il est bon que les enfants ne sortent jamais de cette heureuse simplicité qui conserve en eux l’innocence chrétienne, on comprenait qu’autre chose encore est nécessaire : il faut que, par un effort propre, ils croissent en esprit et en sagesse ; il faut qu’ils ne soient pas aveugles pour le bien ni imprudents quand il faut éviter le mal. Aussi s’efforçait-on d’allumer dans leur cœur un désir de vertu et l’amour des biens éternels ; en même temps on éclairait leur esprit pour que, d’après les maximes générales de l’Évangile, ils pussent discerner le mal, et les maîtres y employaient tout ce qu’ils avaient d’industrie[1].

Le même souci de ne rien mettre entre les mains des enfants qui pût éveiller dans leur âme une pensée ou une image malsaine inspira l’idée de composer à leur usage des éditions expurgées de plusieurs auteurs anciens. La coutume suivie ailleurs de n’étudier le grec et le latin que dans les auteurs profanes n’était guère approuvée à Port-Royal ; mais on reconnaissait que là seulement était la source du bon langage.

  1. « Le cœur est bien à distinguer de l’esprit, dit Guyot dans l’une de ses préfaces ; tout est grand quand le cœur est grand… Il faut avoir plus de soin au cœur que de l’esprit ; or, la leçon du cœur est une leçon d’exemple et celle de l’esprit une leçon de livre. L’action instruit le cœur, comme la parole instruit l’esprit. Le cœur apprend par les yeux et l’esprit par l’oreille, etc. » Et ailleurs : « Le bon sens dépend presque toujours du bon cœur. La morale est plus propre à empêcher les hommes de mal raisonner que la logique ; les folles passions font les faux principes, dont on tire ensuite tant de fausses conséquences ; car les hommes se trompent, le plus souvent, moins pour mal raisonner suivant leurs principes que pour raisonner sur de mauvais principes. (Nicole exprime la même idée dans le Discours préliminaire qui sert de préface à la Logique.) L’esprit est la dupe du cœur ; et ce que le cœur aime, il le trouve juste : il faut donc que l’amour soit bon pour que le jugement soit sain. »