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Page:Revue pédagogique, second semestre, 1883.djvu/117

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LES PETITES ÉCOLES DE PORT-ROYAL

de Saint-Cyran, ceux qui plantent et arrosent ne sont rien ; c’est Dieu seul qui, possédant toute la vertu, produit tout l’effet. C’était donc à lui qu’il fallait rapporter tout le progrès des enfants. Le maître n’est que l’instrument d’un succès dont Dieu est le véritable auteur ; et si la réussite ne répond pas aux efforts, vers qui faut-il se tourner encore ? Vers Dieu, qui n’a pas voulu aider le maître, peut-être parce qu’il ne l’a pas jugé digne. « Comme le progrès des enfants, soit dans la vertu, soit même dans les belles-lettres, n’est pas l’ouvrage du maître qui instruit, dit Coustel, mais qu’il vient uniquement de la bonté et de la miséricorde de Dieu, un précepteur qui est convaincu de l’inutilité de son ministère sans le secours particulier de la grâce, doit tâcher d’obtenir de lui par ses prières tout le bien qu’il leur souhaite et que son indignité l’empêche de leur procurer. Et, en effet, quelque beaux que soient ses discours, ils ne feront aucune impression sur ceux qui les écoutent, si le Saint-Esprit ne parle à leur cœur. Il ne suffit donc pas de représenter aux enfants l’excellence de la vertu et l’avantage des belles-lettres, pour les porter à s’y appliquer ; mais il faut outre cela les leur faire aimer. Or, il n’y a que la grâce qui produise cet effet, et c’est sur quoi est fondée l’obligation indispensable qu’ont tous ceux qui sont chargés de la conduite des autres d’offrir incessamment à Dieu pour eux leurs vœux et leurs prières[1]. »

Ainsi l’homme est déchu ; l’enfant qui naît est un malade, il est vicieux de nature. Le baptême lui rend l’innocence, mais cette innocence est précaire ; autour d’elle, l’ennemi éternel rôde, s’ingéniant et rusant pour ressaisir cette proie qui a été sienne ; contre celte attaque sans trêve lutte sans répit la vigilance des maîtres ; ils combattent pour garder à Dieu les âmes des enfants ; mais en combattant, ils savent que leur effort sera vain si la grâce ne les soutient, et cette grâce, Dieu ne l’accorde qu’au moment et dans la mesure qu’il lui plaît : telle est, en résumé, la doctrine de Saint-Cyran. Doctrine sombre et devant laquelle on ressent comme un mouvement d’effroi. Il y a comme une angoisse dans cette éducation qui est un drame où se joue le salut ; au fond de ce dévouement sans bornes, il y a une sécheresse ; dans le sourire de

  1. Coustel, Règles de l’éducation des enfants, livre 1er, chap. xiv, art 12.