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Page:Revue pédagogique, second semestre, 1884.djvu/252

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REVUE PÉDAGOGIQUE

l’enfant est plus difficile à pénétrer que l’homme ? Si j’en croyais mes souvenirs personnels, je dirais non. Enfant, j’ai vécu entre une mère et une sœur pour qui je n’ai rien pu avoir de caché ; elles lisaient en moi comme en un livre grand ouvert ; en vain j’aurais voulu me dérober à elles : elles auraient vite éventé mes petites ruses, mes détours ; quand leurs yeux s’attachaient à mes yeux (oh, ce clair regard, après tant d’années écoulées, je le vois, je le sens encore), vaincu à l’avance, je me livrais. Du reste, elles me connaissaient mieux que je ne me connaissais : que de fois elles m’ont forcé à remonter le cours de mes délibérations intérieures, à retrouver, sous les prétextes dont je prétendais payer les autres ct moi-même, le motif vrai de ma conduite, celui qui l’avait décidée ! Ce n’est peut-être là qu’un cas particulier : affinité de nature qui en des relations si étroites se comprend sans peine, puissance de l’attention concentrée sur un objet unique, et combien aimé ? affection doublant l’acuité d’intelligences déjà pénétrantes, une sorte de flair tenant plus de l’instinct que de la réflexion ; peut-être aussi à distance mon imagination grossit-elle cette redoutable force de perspicacité. Quoi qu’il en soit, il faut faire réflexion que ce n’est point sur l’observation des autres (quelque habile qu’on y soit, on peut s’y tromper), mais sur l’observation directe de soi-même que les psychologues fondent la psychologie ; sans conscience, point de science psychologique. Or, il n’est guère dans l’habitude de l’enfant de s’examiner ; il se répand au dehors plutôt qu’il ne se replie en lui-même ; il agit, mais ne cherche pas à se rendre compte de ses facultés ; il sent, mais il n’analyse pas ses sentiments. Homme, je ne puis d’ailleurs retrouver, ressaisir l’enfant que j’ai été que par le souvenir ; le souvenir, quand il remonte si loin, est nécessairement confus ; s’il était net, je men délierais, c’est que l’imagination s’en serait mêlée, l’aurait travaillé, remanié. S’il ne peut y avoir une psychologie de l’enfant au même sens qu’il y a une psychologie de l’homme, au moins peut-il v avoir une certaine science de l’enfant ; car l’homme peut atteindre l’enfant comme tout ce qui n’est pas lui-même, en l’observant. Si, comme on J’assure, cette science n’est pas faite, il importe de la faire ; on Ja fera avec des observations multipliées, à la façon de celles