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Page:Revue pédagogique, second semestre, 1890.djvu/213

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LA LÉGISLATION SCOLAIRE ET L’ÉDUCATION DE L’ESPRIT PUBLIC

américain n’a certainement pas été énervé par l’éducation ; mais par son système d’éducation universelle, relativement avancée, et dépourvue de certains correctifs, le peuple américain est devenu un peuple énergique, un peuple puissant, un peuple d’une haute instruction, si on veut, mais aussi un peuple présomptueux. Je déclare que cette présomption ôte beaucoup à la valeur vitale d’une nation. Les deux grands fléaux de l’humanité, dit Spinoza, sont l’indolence et la présomption. Cette dernière est très nuisible parce qu’elle arrête l’homme dans la carrière du perfectionnement de soi, parce qu’elle lui donne un caractère vulgaire, et qu’elle arrête la croissance de son esprit. L’oracle des Grecs déclara que le plus sage des hommes était celui qui était le plus convaincu de sa propre ignorance : quelle peut être alors la sagesse d’une nation profondément convaincue de sa propre perfection ? Après tout, cette parole reste éternellement vraie : « un peu de science est une chose dangereuse », à moins que son possesseur ne se rende bien compte qu’il n’en possède qu’un peu ; et, pour cela, il est presque indispensable qu’il ait devant les yeux des objets qui lui montrent un degré de grandeur, ou d’intelligence, ou de sentiment, auquel il n’a jamais atteint. Le malheur capital du peuple américain, c’est qu’il a dû grandir sans avoir d’idéal.

Les beaux jours des théocraties et des aristocraties sont passés, mais en leur temps elles ont sans aucun doute rempli le rôle d’institutrices des nations européennes, elles les ont amenées à cette forme qui s’appelle la société moderne ; et l’homme est un écolier si borné, l’instruire est une tâche si rude et si difficile, que peut-être les nations qui gardent le plus longtemps leurs instituteurs sont le plus à envier. Les grandes institutions ecclésiastiques de l’Europe, avec leurs cathédrales majestueuses, leurs cérémonies imposantes, leurs offices émouvants ; les grandes aristocraties de l’Europe, avec l’éclat de la naissance, la splendeur des richesses, la réputation de grâce et de distinction, ont sans aucun doute servi d’idéal aux grandes masses européennes et, pendant des siècles, ont ennobli et élevé leurs sentiments. Les Églises assurément et les aristocraties manquaient souvent de cette sainteté et de cette distinction qu’on leur attribuait, mais l’influence qu’elles exerçaient, en offrant aux nations un haut idéal, était toujours la même ; elles restaient au-dessus des individus.