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Page:Revue pédagogique, second semestre, 1890.djvu/214

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REVUE PÉDAGOGIQUE

comme un flambeau éclairant l’imagination de milliers d’hommes. Elles restaient debout, grandes et imposantes, toujours présentes aux yeux de masses d’hommes, dont les occupations quotidiennes offraient peu de chose qui fût grand ou imposant : elles les préservaient, par la vue d’un type de dignité et de distinction bien supérieur, du danger d’estimer trop haut une instruction de qualité inférieure.

Le grand peuple américain s’est développé en grande partie sans connaître un salutaire idéal de cette sorte. Ni dans l’Église, ni dans l’État il n’a eu sous les yeux le spectacle de quelque auguste institution. Le pays est couvert d’un essaim de sectes, toutes sans dignité, quelques-unes sans décence. Le peuple américain n’a pas d’aristocratie. Habitué à ne rien voir de plus imposant ni de plus vénérable que lui et que ses semblables, mais habitué aussi à voir une certaine culture médiocre partout répandue, l’Américain ordinaire, qui possède cette culture et qui n’en aperçoit pas de plus haute, grandit avec un sentiment de supériorité, qui est naturel, mais aussi avec un sentiment de parfaite satisfaction personnelle qui l’abaisse. Lorsque parfois il se trouve en contact avec une véritable supériorité, il se montre à moitié incrédule, à moitié dépité. Le peuple américain, avec cette culture qui s’étend, il est vrai, à tous, mais qui est limitée sans avoir conscience de l’être, offre un spectacle intéressant, sans doute, mais qui inspire les réflexions les plus graves : c’est le spectacle d’un peuple qui est menacé de perdre la faculté de grandir moralement et intellectuellement.

Est-il à craindre que l’éducation généralement répandue et perfectionnée ne rende les classes populaires de la France et de l’Angleterre aussi pédantes que le peuple prussien, aussi infatuées que le peuple américain ? L’Angleterre et la France ont bien des sauvegardes pour les préserver de l’un ou l’autre de ces dangers. À l’égard du premier, elles sont amplement protégées par la plénitude extraordinaire avec laquelle elles retiennent, au milieu de toute leur civilisation, ce que le poète appelle « les sauvages vertus de la race ». Chez les deux nations, quoique sous des formes bien différentes, se manifeste obstinément une préférence toute de tempérament pour la vie animale plutôt que pour la vie intellectuelle ; cette préférence est excessive assurément un certain point