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Page:Revue pédagogique, second semestre, 1894.djvu/11

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LE PRÉSIDENT CARNOT

avait une particulière sollicitude pour les humbles et les faibles, pour les laborieux et les souffrants. Il avait hérité quelque chose de cette disposition humanitaire si touchante de la République de 1848, dont son père, saint-simonien plutôt corrigé que repenti, fut l’un des ministres les plus utiles. Le nombre des œuvres d’assistance et de prévoyance sociales ou de bienfaisance individuelle auxquelles il donnait son concours est considérable. On le connaissait, et c’est peut-être la notoriété qui lui parut toujours le plus enviable, dans tous les milieux où l’on peine, où l’on travaille, où l’on souffre. De là cette popularité qui chaque jour gagnait en étendue et en profondeur, popularité que seule la bonté fait naître, et que seule la bonté maintient. De là ces démonstrations de chagrin et d’affection dont le spectacle se déploie depuis huit jours en ces longues théories de visiteurs de tout rang et de toute condition, ouvriers, employés, hommes, femmes, jeunes et vieux, amis inconnus, se succédant par milliers au palais de l’Élysée, le cœur plein de regrets et les yeux pleins de larmes. »

La fin tragique du président Carnot a profondément ému la France et le monde entier. Il a pu sembler un moment qu’un effrayant abîme s’entr’ouvrait, où pouvait disparaître non seulement la République, mais la civilisation moderne. Le président du Sénat, M. Challemel-Lacour, a trouvé d’éloquentes paroles pour recommander à tous le calme — ce calme d’âme, « qui conserve au jugement sa lucidité et à la volonté son équilibre », dont M. Carnot avait lui-même toujours donné l’exemple :

« Que ce calme nous soutienne dans l’heure grave que nous traversons ! Il semble que la destinée, en plaçant sur notre route des criminels d’une espèce inconnue et en livrant à l’un d’eux une victime d’un si grand prix, nous sollicite elle-même de réfléchir plus sérieusement que jamais sur l’énigme qu’elle nous donne à expliquer lettre à lettre.

» En attendant que nous en découvrions le mot, si nous ne sommes pas condamnés à l’ignorer toujours, nous n’avons rien de mieux à faire que de suivre, dans ce temps si rempli de questions si obscures, la plus sûre de toutes les lumières, celle qui reluit de toutes parts dans la vie du président Carnot : l’amour profond de la patrie, le culte inflexible de la loi. »

La Rédaction.