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Page:Revue pédagogique, second semestre, 1894.djvu/498

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REVUE PÉDAGOGIQUE

rempli toute sa vie. Sans doute, pendant ces dernières années, sa pensée a dû se reporter parfois vers les jours brillants de 1863 à 1869, vers l’époque où, siégeant dans les conseils d’un souverain qui ne lui demanda ni le sacrifice d’une conviction, ni le sacrifice d’une amitié, il sut rester le serviteur passionné du pays et de l’Université. Qu’il n’ait jamais regretté l’exercice de ce pouvoir, où il avait mis à la fois du bon sens et du cœur, nous n’oserions le dire celui-là n’est pas digne de gouverner les hommes qui prend aisément son parti de l’impuissance où il est réduit par la politique, qui voit sans chagrin se briser entre ses mains le bon outil avec lequel il travaillait si bravement à la grandeur intellectuelle et morale de la France. Par une singulière ironie de la fortune, Victor Duruy, qui fut le plus libéral des ministres de l’Empire, était tombé juste au moment où l’Empire entrait franchement dans la voie libérale. Il regretta certainement le bien qu’il aurait pu faire pendant la dernière année du règne.

Mais ses souvenirs furent sans amertume, parce qu’il fut conscient de la valeur de son œuvre, parce qu’il se dit qu’elle était bonne entre les meilleures et qu’elle survivrait à son passage aux affaires. Il ne s’est pas fait illusion : depuis vingt-cinq ans il n’est pas un ministre républicain qui ne se soit réclamé de lui ; il n’est pas un universitaire qui ne le considère comme le premier de nos grands-maîtres : le premier par l’abondance et la profondeur des vues, par l’impulsion donnée à toutes les branches de l’enseignement, par l’importance des créations ou par l’originalité des projets, et surtout par l’amour ardent et désintéressé du peuple. Achevons le portrait en disant que chez Victor Duruy le caractère était à la hauteur de l’esprit : il n’est pas un de ceux qui l’ont approché qui n’ait voué un culte à ce grand homme de bien.

Le 29 décembre 1863, aux obsèques de Saisset, le ministre de l’instruction publique prononça ces simples mots : « Il fut, dans la bonne et vieille définition du mot, le vir probus… Puisse chacun de nous, quand viendra le moment suprême, mériter le même éloge. »

Si l’on avait pu parler sur la tombe de Victor Duruy, dans le petit cimetière de Villeneuve-Saint-Georges, je ne lui aurais pas voulu d’autre oraison funèbre.