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Page:Revue pédagogique, second semestre, 1898.djvu/301

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L’ENSEIGNEMENT INTÉGRAL

faveur de l’existence de Dieu des preuves plus fortes que celles que la morale laïque apporte en faveur du devoir. Quand les adversaires de la laïcité se moquent de notre tentative de fonder notre enseignement sur des incertitudes, c’est, suivant un proverbe populaire, comme un bossu qui tournerait en dérision un boiteux.

Si nous essayons maintenant de résumer notre impression d’ensemble sur le livre de M. Bertrand, nous trouvons qu’il est un exposé de la pure doctrine d’Aug. Comte. L’idée centrale du livre, c’est l’application, à l’enseignement, de la classification des sciences d’Auguste Comte. L’inspiration du livre, c’est l’inspiration très noble de Comte qui est la profonde pénétration de la science et de la morale.

Aussi le reproche fondamental que nous adresserons à l’auteur, c’est de ne point avoir nettement indiqué ce qu’il entend par ce mot de « morale ». Il ne s’agit évidemment pas, pour lui, de morale religieuse confessionnelle. Mais s’agit-il de morale kantienne ? S’agit-il de cette religion de l’Humanité qui a inspiré à un disciple de Comte, à Stuart Mill, des pages si éloquentes[1] ? Nous n’en savons rien. Aussi le livre tout entier garde-t-il de cette incertitude une allure hésitante et laisse-t-il une impression vague et peu satisfaisante pour l’esprit.

Il nous semble impossible de traiter de l’enseignement de « tout l’homme et de tout le peuple » sans savoir nettement où on veut les conduire. On peut être un philosophe spéculatif et se complaire dans le doute, mais dès qu’on se fait conducteur de peuples, et tout éducateur est conducteur de peuples, il faut avoir de la décision et de l’unité de vues. Il faut choisir une conception générale de la vie, « car ne pas choisir, c’est encore choisir[2] ».

D’autre part, l’éducation doit être le développement des qualités nationales et la lutte organisée contre les défauts les plus graves de la « race ». Il faudrait, par conséquent, que nous ayons devant les yeux l’esquisse très nette du Français, du paysan, de l’ouvrier, tel que nous souhaiterions de le former. Or dans tout ce livre, il

  1. Mill, Utilitarisme, ch. iii, et Auguste Comte et le Positivisme, p.135 et suivantes.
  2. Payot, Éducation de la volonté, 8e éd., p. 106. Voir aussi notre étude sur la Croyance, livre iii.