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Page:Revue pédagogique, second semestre, 1898.djvu/302

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REVUE PÉDAGOGIQUE

n’est pas question d’éducation. Il semble que pour M. Bertrand, l’éducation découle comme une conséquence de l’enseignement des sept sciences fondamentales, et que ces sciences soient moralisatrices par elle-mêmes, ce qui n’est vrai que dans le sens théorique où nous l’avons indiqué plus haut.

On dirait que les enfants et les jeunes gens à élever ne se présentent que confusément à l’esprit de l’auteur : c’est ainsi qu’il ne parle qu’en passant (p. 257, 259) des paysans qui forment les deux tiers de la population du pays. Cette vue indistincte des élèves conduit M. Bertrand à demander qu’on introduise dans l’enseignement primaire l’étude des éléments d’une langue vivante. Qui la choisira ? Et en quoi une langue vivante serait-elle utile à l’immense majorité de nos cultivateurs ? Ce qu’il faudrait et ce qui nous manque, ce sont des écoles pratiques de langues vivantes, comme ces écoles suisses qui mettent un élève moyen, sorti de l’enseignement primaire, en état de parler et d’écrire trois langues suffisamment pour la pratique commerciale. Ces élèves n’auront jamais entendu parler du Dante ni de Gœthe, qui d’ailleurs peut-être dans le commerce « eussent été des sots ».

M. Bertrand ne parle qu’en passant (p. 232 et 252) de la question du latin. Les deux passages sont d’ailleurs difficiles à concilier, car les raisons qui rendraient l’élude du latin inutile pour les élèves la rendraient inutile aussi pour les maîtres. En ce qui nous concerne, nous nous apercevons tous les jours qu’il sera difficile de remplacer cette étude, parce que l’effort pour rendre en français la pensée d’un peuple qui n’avait ni nos idées religieuses, ni nos idées politiques, ni nos mœurs, ni nos coutumes, ni rien de semblable À nous, exige un effort pénétrant, toujours plus grand à mesure que l’élève devient plus intelligent. Rien ne peut remplacer cette discipline comme exigence continue d’efforts de tous les instants, et d’efforts limités, précis, à la portée de l’enfant. Ce n’est pas l’étude des sciences physiques et naturelles qui pourra suppléer à cet effort, car jamais l’enfant ne se trouvera en sciences dans la situation d’esprit du savant qui cherche, qui découvre, et cette étude des sciences, si elle n’a pour correctif l’étude des lettres, risque fort de ne cultiver que la mémoire. Nous renvoyons, pour cette critique capitale, à M. Fouillée, qui l’a faite « de main d’ouvrier » dans son livre sur l’Éducation nationale.