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Page:Revue pédagogique, second semestre, 1898.djvu/326

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REVUE PÉDAGOGIQUE

ne tarderaient pas à quitter l’enseignement. Cela ne serait pas un mal, car ils céderaient leur place à un nouveau maître, futur commerçant lui-même ; notre commerce d’outre-mer y gagnerait beaucoup et l’instruction des indigènes n’en souffrirait guère.

Mais, tant que le résultat poursuivi à l’école commerciale sera d’inculquer aux élèves la lettre d’un programme, même spécial et très bien fait, l’école aura simplement distribué une partie de ce savoir littéraire et scientifique, toujours classique, qui, sous des aspects et sous des noms différents, est donné dans tous nos établissements d’instruction.

Or, l’éducation littéraire et scientifique semble avoir pour but unique, en France, d’élever notre personnalité, d’affiner notre conscience et de la rendre plus subtile, de donner à notre esprit le sens critique, de nous mettre à même, en un mot, de vivre sans ennui dans un cercle restreint et de faire de notre personne le centre de notre horizon. Voyez ce que deviennent nos bons élèves : des militaires, des médecins, des professeurs, des avocats, c’est-à-dire des gens qui commandent, qui opinent, qui imposent leur personnalité. Et la masse de nos écoliers est façonnée sur le même plan ; beaucoup d’entre eux ont appris les langues mortes, chose excellente, mais ils seraient incapables de parier et de comprendre deux langues vivantes, ce qui est tout à fait regrettable.

Croyez-vous que ces écoliers, devenus hommes, lancés dans l’industrie ou dans le commerce, pourront s’affranchir de cette direction originelle et, oubliant de tout rapporter à leur personne, s’efforcer de se plier aux exigences du milieu qui les entoure ? Cela n’est pas probable. Ils seront peut-être capables de donner le ton, de faire l’article, mais ils ne sauront pas spontanément, instinctivement presque, exploiter les besoins, les caprices et les habitudes des clients. Pour traiter ainsi les affaires, il faut une grande souplesse de jugement, une indifférence systématique sur tout ce qui n’est pas le but final de l’entreprise, une patience que ne rebute aucune difficulté. Or, l’éducation et l’instruction des jeunes Français a pour effet, sinon pour but, de produire des qualités absolu-