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Page:Revue pédagogique, second semestre, 1907.djvu/246

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REVUE PÉDAGOGIQUE

modernes, aux larges rues, aux enseignes polyglottes, voisinent avec les champs de fouilles ; trop de bâtisses jaunâtres, sans silhouette et sans caractère, encombrent la ville, quand on la regarde du haut du Pincio ou du Janicule ; on a peine à mettre un nom sur les campaniles et les dômes trop serrés, sur les palais trop uniformes. Entre les ruines de la Rome païenne et la somptuosité de Saint-Pierre, on hésite, appelé par des sollicitations contraires ; et l’on est encore distrait et dérangé par l’agitation cosmopolite du Corso, ou par la rumeur des séances à Montecitorio. De cette confusion résulte une sorte de lassitude, d’étourdissement, où se mêle un peu de désillusion.

Tous doivent traverser, au début, cette période de gêne, d’adaptation insuffisante. Il arrive parfois que l’on quitte Rome avant de s’y être acclimaté ; alors, sans se l’avouer, on garde contre elle quelque rancune, et par la suite on s’attarde à son souvenir moins volontiers qu’à celui de Florence ou de Naples. Mais si l’on peut y prolonger son séjour, si, par un progrès insensible, on réussit à connaître et à comprendre Rome, à y vivre, non plus en étranger de passage, mais en hôte naturalisé, un moment vient où l’on s’aperçoit qu’aucune ville, même italienne, n’est comparable à celle-ci. C’est qu’à la longue on a subi le charme de Rome, plus pénétrant qu’aucun autre ; une fois pris, on ne se libérera plus.

Nulle part sans doute plus qu’à Rome la douceur de vivre n’est une réalité ; une atmosphère de bien-être y entoure l’existence. Stendhal l’a dit, en un mot significatif que rappelle M. Schneider : le climat de Rome « suffit au bonheur ». Ce n’est pas qu’il soit une fête perpétuelle ; seulement, à qui sait en tirer parti, il procure des joies presque ininterrompues, et variées suivant les saisons. Il faut passer condamnation sur les grosses pluies d’hiver : encore Gæthe leur sait-il gré d’aviver le vert des arbres et des pelouses. Mais il y a un plaisir dans la tramontane, le vent salubre du nord qui siffle et pique rudement, à certains jours de décembre et de janvier ; il y a une volupté dans le scirocco, qui apporte du sud une chaleur moite, énervante et molle. Au printemps, les actes les plus élémentaires, ouvrir les yeux, respirer, marcher, deviennent une raison d’être heureux : les couleurs sont intenses, la vie palpite dans la lumière éclatante