Il n’est rien dans toute son œuvre qui voile ou embellisse la réalité. Cependant il n’est rien de vulgaire ou de vil. La grossièreté même d’un toucheur de bœufs y trouve des accents épiques. Mais, à côté de ces rudes accents, des mots de colère que lance un père irrité des propos de moissonneurs en gaîté, on entend chanter l’innocence et les extases d’une jeune fille amoureuse et croyante. C’est là le vrai, le seul réalisme : ne pas représenter continûment une vie médiocre ou mauvaise, alors qu’il y a aussi l’amour, la foi, le travail, ne pas jeter sur la réalité un voile d’idéal, alors qu’il y a le vice, la misère, la mort, — mais montrer également le mal et le bien, la laideur et la beauté, selon le rythme de l’existence. Dès avant les manifestes de Zola et de ses disciples, Mistral avait su voir le réel, et mieux qu’eux, puisqu’il avait vu tout le réel[1]. Admirateur de Lamartine, il avait pourtant compris que le poète de Jocelyn, trop volontiers idéaliste, ne pouvait exprimer complètement la vie d’un village, les humbles et divins soucis d’un curé de montagne. Mais lui, qui vit parmi les paysans, sait comment les gens du peuple s’expriment. Quand il les transporte dans son poème, c’est avec leur langue, brutale ou charmante, toujours pittoresque. Cette langue, qui vient du fond des siècles, est pourtant neuve, — car les troubadours sont bien oubliés, — comme langue littéraire, et dans cette langue neuve les mots ont encore leur premier éclat poétique que le français parfois a perdu. Ici point de traditions littéraires, de lourd héritage à recevoir, à assimiler, à rejeter. Servi par une telle langue, par un tel génie, Mistral réussit à donner, dès son premier effort, bien loin des « bergeries » de nos siècles. d’élégance, le poème rustique qui manquait à la France. La littérature française, de bonne heure attirée vers les cours et retenue ensuite à Paris, a pu donner des œuvres de pensée subtile ou profonde, toujours aristocratiques. Mistral, qui échappe à son influence, est, au sens le plus large, le plus noble de ce mot, le poète du peuple, du peuple latin.
Poète rustique, que l’on aimait et que l’on célébrait déjà, il a voulu être davantage : un poète épique et il a écrit Calendal, Le Poème du Rhône, La Reine Jeanne qui, bien plus qu’une tragédie, est une épopée dialoguée. Calendal, petit pécheur
- ↑ Cf. articles cités.