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Page:Revue pédagogique, second semestre, 1909.djvu/130

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REVUE PÉDAGOGIQUE

de Cassis, accomplit pour l’amour d’Esterelle qu’il a un jour entrevue, les travaux les plus extraordinaires. C’est une sorte d’Hercule adolescent, un David qui triomphe de tous les Goliath, il a quelque chose d’Ulysse, mais d’un Ulysse qui aurait dix-huit ans. C’est le peuple du Midi, subtil et patient, c’est le jeune homme, fier de sa force, qui part à la conquête de l’amour. — La reine Jeanne, en dépit de l’histoire, est la belle et douce souveraine, toujours populaire en Provence où plus de dix vieux châteaux portent encore son nom. Elle rappelle les temps de gloire et de poésie, où la Provence chantait d’accord avec l’Italie, où la vie était douce et facile en Avignon, quand y régnait la noble cour des Papes, que Mistral a évoquée encore dans Verto. En même temps elle est la souveraine des pays du Midi que persécutent les farouches Barbares du Nord, les Hongrois de son mari André ; elle est la Provence elle-même. — Enfin les héros du Poème du Rhône ce sont les vieux bateliers, intrépides, qu’a chassés vers 1840 la navigation à vapeur et dont Mistral a fixé l’image, au moment où leur souvenir même allait s’éteindre, et le héros, c’est encore le Rhône, avec les légendes des châteaux et des villes qu’il baigne en descendant vers la mer d’un grand mouvement impétueux. Toutes ces épopées peuvent bien parfois avoir des princes ou des reines pour mener leur action, il n’en reste pas moins qu’elles chantent avant tout la gloire du pays et celle du peuple qui le féconde de son travail.

Poète de la « Province romaine », poète du peuple latin, Mistral a continué le chant de Virgile, celui de Dante aussi, il a devancé celui de Carducci. Lui-même, en achevant le Trésor du Félibrige, où il dressait l’inventaire de l’héritage romain, a jeté ce cri sincère :

Dans le sol jusqu’au tuf a creusé ma charrue,
Et le bronze romain et l’or des empereurs
Reluisent au soleil parmi le blé qui lève[1]

C’est au rang des grands poètes latins qu’il faut dès à présent ranger Mistral, et, comme tel, sa place est déjà marquée dans le programme d’une éducation classique.

  1. En terro, fin qu’au sistre, a cava moun araire
    E lou brounze rouman e l’or dis emperaire
    Treluson au souléu dintre lou blad que sort…