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LE ROMAN RÉALISTE EN ANGLETERRE AVEC JANE AUSTEN

lui envoya des éloges, et le monde la connut. Jamais toutefois il ne la prit et ne la gâta, comme quelques-unes de ses contemporaines ; elle sortait peu et n’allait que là où l’on demandait « Jane Austen » ; Mme de Staël ayant désiré voir l’auteur d’Orgueil et parti pris, Jane Austen refusa. En femme du monde qu’elle était, elle redoutait la réputation de bas-bleu. Elle vieillit ainsi avec sa mère et sa sœur ; elle eut même vite la coquetterie de la vieillesse, puisqu’elle s’en alla à quarante ans et qu’elle portait depuis longtemps le bonnet des personnes mûres. Elle mourut à Winchester, où elle était allée consulter un grand médecin. Ses dernières lettres la montrent simple, sereine et dévouée ; elle souffrait beaucoup, et à ceux qui lui demandaient si elle ne désirait pas quelque chose, elle répondit « Rien que la mort, » avec un reste de sourire, tandis qu’elle finissait sans tapage, comme elle avait vécu. C’est de la sorte que s’acheva vite, beaucoup trop vite, son existence, harmonieuse comme la douce campagne qui l’encadrait, tranquille comme la vieille ville où elle s’est éteinte, cette vie pleine de raison, de grâce et de joie. Elle n’a pas parlé beaucoup des Français ; on ne sait pas si elle les a aimés, mais elle leur ressemblait. Nous songeons vaguement à l’idéal de Molière, devant ce mélange de bon sens et de finesse, ce mépris du roman, ce goût de la raillerie. Elle est si classique, si différente de Charlotte Brontë, si adorablement simple et équilibrée, cette femme qui n’aimait rien tant qu’à rire et qui l’avouait.

Il est presque impossible de donner une juste idée d’elle à qui ne la connaît pas ; son charme est si subtil et si continu qu’on ne le goûte qu’en la lisant et en la relisant. On a déjà vu que l’intrigue n’a pas d’importance chez elle : une ou deux analyses sommaires le prouvent abondamment.

Persuasion raconte l’histoire d’une jeune fille qui a refusé d’épouser un jeune officier qu’elle aimait, parce qu’elle s’est laissée influencer par son père et une vieille amie ; elle le regrette en silence et à jamais, lorsqu’il revient huit ans après. Il l’a oubliée, et même elle lui paraît bien vieillie lorsqu’il la revoit. Peu à peu, ils se retrouvent ensemble, le charme