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Les hommes qui se considèrent comme de purs observateurs, sont dirigés dans le choix de leurs observations par le courant général de la science de leur époque. Or ce courant de la science a été déterminé par l’action des initiateurs, c’est-à-dire par les auteurs de conjectures à vérifier. Les purs observateurs peuvent faire peu ou très-peu d’hypothèses individuelles, mais ils travaillent sous l’influence des hypothèses d’autrui ; ce sont des vérificateurs. Leur œuvre, du reste, pour avoir moins d’éclat que celle des inventeurs, n’est pas moins estimable et pas moins nécessaire.

Après avoir reconnu la place de l’hypothèse dans l’observation, considérons maintenant la manière dont elle intervient dans la vérification même.

Une vérité mathématique étant conçue, il s’agit pour la démontrer de la rattacher par un lien logique aux vérités antérieurement établies. Cette vérification de l’hypothèse renferme elle-même un nouvel élément hypothétique. Un étudiant est examiné sur la géométrie. On lui donne un théorème ; il faut qu’il en indique la démonstration. Dans le cas le plus ordinaire, il cherchera à retrouver dans sa mémoire l’enseignement de son professeur. Supposons que sa mémoire fasse défaut, ou qu’on l’appelle à démontrer de lui-même un théorème qui n’est pas rentré dans le champ d’enseignement qu’il a reçu. Il est possible qu’il invente la démonstration ; mais son invention ne sera justifiée, que lorsqu’il en aura constaté la valeur. Je me rappelle, à l’époque de mes études, avoir inventé, un jour, pour un théorème de géométrie élémentaire, une preuve nouvelle qui me paraissait avoir de grands avantages. Je me rendis chez un de mes professeurs pour lui communiquer ma découverte. Le professeur heureusement ne se trouva pas chez lui ; et j’eus le loisir de constater par moi-même, après une nouvelle étude, que ma démonstration était fausse. J’avais fait une hypothèse portant, non sur une vérité nouvelle, mais sur un mode nouveau de vérification d’une vérité déjà établie. Il se trouvait seulement que je n’avais pas le génie de Pascal, et que mon hypothèse n’était pas bonne.

Dans les sciences expérimentales, la plupart des observations sont, comme nous venons de le dire, des vérifications d’hypothèses ; il en est de même, et à plus forte raison, des expériences. Des expériences faites au hasard, et sans une idée préconçue, seraient une espèce de jeu dont la science ne saurait attendre aucun résultat sérieux. « On ne fait jamais d’expériences que pour voir ou pour « prouver, c’est-à-dire pour contrôler et vérifier », dit M. Claude Bernard[1]. Le volume dont ces lignes sont extraites renferme en

  1. Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, page 384.