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analyses. — desdouits. La Philosophie de Kant.

s’applique-t-elle à la détermination de la place qu’occupent les objets dans le temps et dans l’espace ? mais c’est au jugement déterminant qu’il appartiendrait d’établir cet ordre. Il aurait fallu se borner à dire que le jugement réfléchissant explique l’élément particulier, les caractères spécifiques des choses ; tandis que le jugement déterminant, c’est-à-dire le jugement porté à la lumière des catégories ou de la causalité, rend compte des propriétés générales ou mécaniques, ou encore ramène tous les phénomènes au mouvement. Le premier prononce sur la nature ; et le second, sur la réalité des objets. — M. Desdouits conclut ainsi p. 256) l’analyse de la critique du jugement : « Au moment d’atteindre Dieu par la considération de la finalité, le philosophe critique fait un dernier effort de scepticisme pour échapper à cette conclusion. Qui sait si la distinction de la causalité mécanique et de la finalité n’est pas l’œuvre de notre raison imparfaite ; et si la nature et l’esprit ne sont pas en soi absolument identiques ! Voici par ce doute l’abîme du panthéisme ouvert… » Nous ne voyons pas que l’hypothèse de Kant conduise nécessairement à d’aussi grosses conséquences : elle s’accommode après tout aussi bien à la monadologie spirituelle de Leibniz qu’au panthéisme des philosophes de l’identité.


Nous ne suivrons pas M. Desdouits dans le détail des réfutations, auxquelles il soumet successivement les trois critiques, dans la deuxième partie de son livre. L’espace limité dont nous disposons ne nous permet pas de nous étendre sur ce sujet aussi longuement que nous le voudrions. Nous nous bornerons à dégager et à discuter les objections principales que notre auteur dirige contre la doctrine de Kant. On les trouvera exposées surtout dans l’Introduction (p. 9) et dans les chapitres I et II de la 2e partie (p. 261 à 284).

Parlons d’abord des raisons que nous appellerons de sentiment, comme l’appel au sens commun. Nous regrettons que M. Desdouits ait repris pour son compte cet argument tout à fait suranné, dont l’histoire comme la critique des idées ont définitivement fait justice. Nous n’admettons pas que le sens commun, c’est-à-dire au fond l’opinion dominante ait rien à voir dans les problèmes philosophiques, moins encore que dans ceux de la science. Que deviendrait, à ce compte, la philosophie tout entière, qui, depuis Socrate jusqu’à nos jours, n’est qu’une longue série de protestations et comme de défis lancés au sens commun de chaque époque. Qu’ont à démêler, je le demande, avec le sens commun, l’Idée de Platon, l’Entéléchie d’Aristote, le mécanisme cartésien ou le Cogito ergo sum, la monade de Leibniz, l’intuition intellectuelle des philosophes de l’Identité, la notion de Hegel, etc., etc. ? — Nous admettons encore moins que, dans une discussion purement philosophique, des considérations de foi religieuse puissent être invoquées (V. p. 271, 350, 382, 465 et 469 surtout). Ou renoncez à philosopher ; ou résignez-vous à ne pas employer dans la démonstration d’autres armes que celles du libre examen.