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dans la période de vérification des sciences. Il est rarement possible de s’assurer directement de l’exactitude d’un principe hypothétique. Pour tourner la difficulté, on en tire des conséquences rigoureuses, et on le vérifie indirectement par elles. Or, s’il y a des sciences symbolisées, comme l’arithmétique, l’algèbre, la mécanique, etc., la logique, par qui seule cette symbolisation est possible, est nécessairement, elle aussi, dans sa partie déductive, une science symbolisée, ou tout au moins susceptible de l’être ; ses opérations doivent pouvoir être traduites en formules, et ses notations et ses formules seront vraisemblablement plus simples que celles même de l’arithmétique.

En fait, c’est ce qui a lieu. Les formules du syllogisme, telles qu’elles nous ont été livrées par Aristote, sont assimilables à celles de l’algèbre, mais il leur manque ce qui constitue véritablement le caractère scientifique : la précision. C’est ce caractère que nous aurons à leur donner.

Si l’on demande maintenant comment il se fait que des symboles exacts n’ont pas encore été imaginés, nous répondrons que c’est à cause de leur simplicité même[1]. Les sauvages, qui savent pourtant distinguer entre deux arbres quel est le plus chargé de fruits, et entre deux fruits quel est le plus gros, n’ont jamais éprouvé le besoin d’une science arithmétique ou géométrique, parce que les opérations qu’ils font, étant tout élémentaires, ne nécessitent qu’un effort de pensée peu compliqué, et ne pourraient être abrégées par l’usage de figures ou bien d’une notation quelconque. Bien des gens du peuple, et c’était très-commun autrefois, font leurs calculs de tête, parce que ces calculs sont très-simples. Ainsi en est-il de la logique. Les raisonnements sont tellement naturels à l’intelligence qu’on ne les aiderait que peu par l’emploi artificiel de symboles auxquels, par conséquent, on ne pouvait pas songer à recourir.

Quelle est donc l’utilité du travail que nous entreprenons ? Cette question se lie intimement à celle de l’utilité de la logique : nous y reviendrons plus tard. Pour le moment, notre entreprise n’eût-elle d’autre utilité que d’apporter un argument nouveau en faveur de la classification des sciences et de la théorie de la démonstration données dans les pages précédentes, qu’elle serait suffisamment justifiée. Notre travail n’eût-il encore que cet avantage de démontrer par une

  1. Quand j’ai écrit ces lignes, je ne connaissais pas les ouvrages composés par des logiciens anglais, notamment par Boole, sur le même objet. J’en dirai quelques mots au commencement de la troisième partie de ce travail. Enlisant cette troisième partie, le lecteur comprendra pourquoi je n’ai pas cru nécessaire de modifier ici mon texte.