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l. carrau. — la philosophie de m. g. h. lewes

raient-elles à l’idée d’une existence en dehors de l’étendue et de la durée, d’une cause intelligente de l’univers, d’une perfection absolue ? On contestera la valeur objective de telles idées ; on n’en contestera certes pas la réalité subjective, à titre de faits de l’esprit humain, et il reste à expliquer comment l’esprit humain s’est avisé de les former et s’obstine à ne pas s’en défaire comme de fantaisies chimériques. Or, sans reprendre ici contre le sensualisme un débat qui nous paraît aujourd’hui terminé, nous croyons pouvoir dire qu’il n’a pas réussi à ramener à l’expérience ou à de simples généralisations tirées de l’expérience et par elle vérifiables, ces idées que l’école rationnaliste appelle idées ou vérités premières, et notamment les notions fondamentales de la théodicée.

Et si nous citons celles-là de préférence, c’est que, d’après l’exemple même que nous avons rapporté plus haut, M. Lewes exclut formellement les problèmes de la théologie naturelle de l’ensemble des questions positives ou métaphysiques. Chercher dans l’univers les marques d’un dessein, tentative illusoire ! C’est là du métempirisme au premier chef. Vous pourrez sur ce point nous exposer vos vues particulières ; vous pouvez donner une innocente satisfaction à vos sentiments pieux et à ceux des gens qui sont dans les mêmes dispositions morales et religieuses que vous : jamais vous ne ferez œuvre de savant, car jamais votre hypothèse ne recevra l’indispensable contrôle de l’expérience.

Mais d’abord il n’est pas bien sut que l’expérience ne vérifie, au moins indirectement, les conclusions qui établissent l’existence d’un plan dans l’univers. Constater que la matière et ses propriétés, telles que r expérience nous les fait connaître, n’expliquent pas certains arrangements, certaines combinaisons de parties, c’est, par cela même, prouver en quelque manière expérimentalement, qu’il faut avoir recours à une cause qui ne soit pas matérielle. Sans doute, cette cause, par définition, ne peut être l’objet de la sensation ; mais les sens atteignent des effets qu’une cause de cette nature peut seule expliquer, et c’est ce que je me crois en droit d’appeler une vérification expérimentale indirecte. Il ne serait pas difficile d’établir que ce genre de démonstration est applicable à tous les problèmes de la théodicée rationnelle. Peut-être même, poussant ce principe, pourrait-on aller jusqu’à dire qu’il n’y a pas, proprement, de métempirique ; car une question qui se pose d’elle-même devant l’intelligence est évidemment une question intelligible, et cette intelligibilité implique quelque connaissance antérieure, quelque donnée des sens, de la conscience ou de la raison, qui contienne le germe, si obscur que l’on voudra, l’espérance, si lointaine qu’on la sup-