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de Diderot lui apporte la vraie critique d’art. « Encore c’est sans rien approfondir de ses principes et sans secouer le joug d’une doctrine aussi fausse que superficielle. En Angleterre Shaftesbury, Burke la traitent plus sérieusement ; mais aucun chef d’école, aucun vrai philosophe, ni Locke, ni Berkeley, ni Hume, ne daigne la considérer ni s’occuper de ses problèmes. Ses sujets sont renvoyés aux poètes, aux érudits, aux littérateurs. Comment expliquer une semblable indifférence et un pareil oubli, quand il s’agit de questions d’un intérêt si vif et si universel ? On le concevrait pour la scolastique si elle était seule au moyen-âge ; mais avant elle, déjà était né un art nouveau, l’art chrétien, qui fleurit à côté d’elle, et qui, au moment de son apogée, a couvert l’Occident de ses monuments. Au temps de Pétrarque et de Dante, et de la Divine comédie, qui est presque autant une philosophie qu’un poème, dont l’auteur n’est étranger à aucun dogme philosophique, nullius dogmatis expers, même oubli, même indifférence. Pas un non plus de ces grands génies qui embrassèrent alors l’ensemble des idées de leur temps, saint Thomas, Albert-le—Grand, ne lui a donné une petite place dans sa Somme qui est une encyclopédie. Plus tard, au grand siècle de la peinture, quand le génie des arts multiplie à profusion ses toiles immortelles, au siècle de Raphaël et de Michel-Ange, ni en Italie, ni en France, ni aux Pays-Bas, ni en Allemagne, là où partout se créent les chefs-d’œuvre, pas une tête pensante n’est sollicitée à réfléchir sur la nature et le but de l’art et ne songe à en étudier les lois. Il y a là un phénomène au moins singulier, un problème qui se pose à l’historien et qu’il doit résoudre. Notre auteur l’a compris et lui consacre un sérieux examen dans des pages un peu longues, qu’il intitule : « le Saut par-dessus le moyen-âge » (der Sprung über das Mittelalter). Pour résoudre le problème, il croit devoir recourir aux plus hautes considérations de la philosophie de l’histoire. On reconnaît dans ce qu’il en dit beaucoup des idées de son maître Hegel (Cf. Esthétiq. 2e partie) et plusieurs aussi de ses formules. Nous ne contestons pas l’heureuse application qu’il en fait. Selon nous, il aurait pu s’y étendre moins ; sa pensée y aurait gagné en précision et en clarté ; sa marche eût été moins ralentie. Cette pensée, au fond, peut se résumer ainsi.

Pour le Moyen-âge l’explication doit être cherchée dans l’opposition de l’esprit moderne à l’esprit antique. Chez les Grecs toute la vie est pénétrée de l’idée du beau. L’art est partout, il fait partie intégrante des mœurs, de la religion, de l’État, de l’existence entière publique et privée. Une heureuse harmonie règne entre l’esprit et la nature ; l’idée et la forme se pénètrent et s’accordent. Dans l’esprit