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ch. bénard. — l’esthétique de max schasler

moderne, au contraire, cette harmonie est rompue. L’esprit abandonne la nature ; il se replie sur lui-même, il entre dans ses profondeurs. Ici nous retrouvons les termes et les formules hégéliennes : l’intériorité (Innerlichkeit), la subjectivité infinie, le renoncement, la souffrance, le détachement des choses terrestres, la mortification de la chair, voilà ce qui fait le fond, l’essence de la pensée chrétienne, et ce qu’exprime surtout l’art chrétien. À une telle époque, le besoin du beau ne se fait pas sentir ; mais celui du saint. La religion est tout, l’art est à son service. L’intérêt du beau s’efface et s’absorbe dans l’intérêt religieux. « Comment le moyen-âge aurait-il eu une philosophie du beau quand, dans la vie, il n’est pas question du beau, quand l’art est absolument le serviteur de la religion ? »

Pour ce qui est de la Renaissance et des âges suivants, la solution est différente, mais aisée à trouver. Si l’esthétique n’est pas née quand l’art fleurit aux xve et xvie siècles, c’est que les deux facultés, l’une qui crée le beau, l’autre qui l’apprécie et s’en rend compte, sont différentes ; elles sont même opposées. L’une vient après l’autre et elles ne sont pas simultanées. Déjà chez les anciens, le siècle de Périclès était passé quand Socrate, qui lui-même avait été artiste, visitait les ateliers des sculpteurs, les questionnait sur la nature et les procédés de leur art. Platon raisonnait sur le beau et concevait son modèle divin, quand l’art s’éloignait de plus en plus de cet idéal et ne s’étudiait plus guère qu’à flatter les sens, à sourire à la passion, à lui agréer. Si Aristote pose les règles de la tragédie, c’est qu’elle a déjà produit des chefs-d’œuvre. De même c’est quand l’art moderne est sur son déclin, ou que la réflexion s’y môle à l’inspiration pour enfanter des chefs-d’œuvre d’un genre nouveau, que les questions sur le beau et l’art seront soulevées et agitées, qu’on cherchera à se rendre compte des procédés mystérieux du génie. — Ces raisons nous paraissent aussi simples que justes ; nous regrettons que l’auteur les ait compliquées de phrases abstraites et de digressions inutiles.

Quant au xviie siècle, l’explication est encore plus simple. La pensée philosophique y est toute absorbée par les grands problèmes de métaphysique abstraite et de méthode ; elle n’a pas de temps à donner à d’autres sujets pour elle d’un moindre intérêt dont l’importance ne lui apparaît pas, et qui en comparaison lui sembleraient futiles. Dieu, l’âme, la matière et l’esprit, la certitude de nos connaissances et l’origine de nos idées, les lois du monde et la structure de l’univers, son origine et sa durée, voilà les objets qui captivent tous les esprits : les grands et les petits. Que sont à côté d’eux, l’art