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ch. bénard. — l’esthétique de max schasler

C’est peu pour une histoire qui retrace au long et à tous ses degrés la genèse de la conscience esthétique ; M. Schasler oublie d’ailleurs ce que lui commande sa dialectique. Elle veut que dans cette histoire, partout et à toutes les époques, il y ait trois moments (intuition, réflexion, spéculation) que les degrés inférieurs, quoique inférieurs, ne soient pas moins nécessaires au degré supérieur qui les absorbe et les dépasse. Sans cela, le processus n’existe pas. Mais l’esthétique scientifique et spéculative toute seule, privée de l’aliment ou de la matière que lui fournit l’esthétique expérimentale ou réflexive, périrait d’inanition sur un rocher escarpé et au milieu d’une île déserte, comme l’a dit très-spirituellement quelque part M. Schasler de l’esthétique positiviste, privée de ce qu’elle emprunte à l’idéalisme.

Ainsi en soutenant les droits de l’esthétique anglaise, française, etc., nous prenons la défense de l’esthétique allemande elle-même dont nous avons reconnu d’ailleurs toute la supériorité. Nous empêchons des annexions dans la science, qui lui seraient à elle-même funestes. Il y a plus, en invoquant la dialectique qui se tait et qui devrait réclamer, nous prenons parti pour l’historien qui fait infidélité au critique, quand, par exemple, il consacre soixante pages à Winckelmann et à Gœthe, lui qui en donne à peine autant à Vischer, à Weisse et à Hegel même, ces héros de l’esthétique savante ou spéculative. Et nous l’en remercions, car ces pages consacrées à l’esthétique populaire sont aussi instructives qu’intéressantes.

Une troisième objection est beaucoup plus grave, car elle porte sur le fond même du livre. Il s’agit de la marche et du développement de l’esthétique moderne que nous reconnaissons volontiers être surtout une science allemande. Notre critique, du reste, rentre dans une plus générale que nous avons faite plus haut à l’auteur sur l’emploi qu’il fait de sa méthode. Celle-ci l’a encore mal servi. Elle lui a fait voir le côté extérieur dans la marche des systèmes. Le côté interne lui a échappé ; chez lui du moins il n’est pas visible. Il disparaît sous l’enchaînement factice qui lui est dicté d’avance par sa rubrique des trois moments de la pensée. La toile est sans doute ingénieuse, mais le tissu en est peu solide, il recouvre et cache le mouvement réel de la pensée dans les périodes principales de l’esthétique allemande.

Ce mouvement est facile à saisir. Il doit frapper tous les yeux. Deux grandes périodes ou phases successives comprennent ici tous les systèmes et marquent ce développement. Dans la première, la pensée se porte exclusivement sur les faits et les facultés de l’âme qui répondent à l’idée du beau. C’est la période subjective : Baum-