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sans s’être enquis longuement des faits, sans avoir entretenu un commerce intime avec les œuvres de l’art et s’être familiarisé avec ses procédés. Il traite fort mal les plus grands penseurs qui n’ont pas rempli cette condition ou n’ont pas eu ce savoir à un degré suffisant. Lui-même, s’il entreprend cette histoire de la science du beau, c’est qu’il croit y trouver une base positive et un riche trésor d’expériences trop négligé de ses devanciers. Il y voit un vaste champ d’expérimentation où tous les procédés de l’esprit ont été essayés tour à tour, employés et appliqués par des intelligences supérieures. Le résultat auquel il aboutit ou croit aboutir et qui est de fonder la science sur une base anthropologique, pourquoi l’adopte-t-il ? C’est que cette base lui paraît en dehors de toute hypothèse et non à priori.

Ici nous n’avons pu l’approuver et il nous a paru plutôt reculer qu’avancer. Néanmoins, dans les efforts qu’il fait, il faut voir le besoin, porté jusqu’au scrupule et à l’excès, de s’appuyer sur le terrain solide des faits et de ne rien emprunter à la raison pure. L’analyse de la nature humaine, de ses facultés et de ses besoins naturels est ici substituée à la dialectique et la fait oublier. Il y a plus, et cela même est à remarquer, cette division ternaire et schématique, qui nous a paru tant nuire à l’œuvre de l’historien, et à celle du critique, qui lui a fait méconnaître ou dérobé la marche interne de la pensée, elle est prise dans l’analyse de la connaissance humaine et de ses modes. La psychologie sert de base à la dialectique ; celle-ci y a ses racines. Quant à la dialectique abstraite purement à priori, il en signale très-bien tous les défauts auxquels lui-même n’a pu échapper. Son imperfection, selon lui, réside dans le langage organe inadéquat de la pensée. Cela le ramène encore à l’étude de l’esprit humain et de ses lois par la nécessité d’en faire l’analyse dans les lois du langage où elles s’incarnent pour ainsi dire et prennent un corps. La philologie comparée comme tout à l’heure, la psychologie s’allie à l’anthropologie pour alimenter la métaphysique. Toutes ces sciences aujourd’hui cultivées avec ardeur comme sciences positives viennent tour à tour offrir leur concours à la science du beau et lui servir d’auxiliaires. Ce n’est pas tout, nous avons vu l’esthéticien débuter par une sorte de hors-d’œuvre, la description et la classification des modes de la connaissance esthétique, ce qui lui a fourni une analyse fort curieuse, quoique gâtée par la satire et la dialectique, de faits moraux nombreux dont s’accommodent très-bien une psychologie et une morale empiriques. Ce long préambule, qu’on a pu juger inutile, qu’est-il en somme sinon une sorte de phénoménologie de l’esprit esthétique étudié dans les indi-