Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, II.djvu/475

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
465
dumont. — m. delbœuf et la théorie de la sensibilité.

papier blanc assez transparent pour laisser passer la couleur rouge à travers son tissu, — il faut que le papier ait les dimensions du papier rouge et qu’il le recouvre exactement. Qu’on introduise entre les deux feuilles un morceau de papier gris de la grandeur d’un pain à cacheter ; nous le jugerons immédiatement vert ; tandis, que si nous le plaçons au-dessus, nous le verrons effectivement gris.

« On comprend sans peine la raison de ces deux jugements en apparence contradictoires. Le papier transparent, bien que blanc, nous fait l’effet d’être un papier rouge et dès lors le papier gris que nous apercevons en dessous, nous croyons le voir à travers du rouge, et nous en concluons immédiatement qu’il doit être vert. Il n’en est plus de même, quand nous le voyons en dessus du papier transparent et nous n’avons pas de raison de porter un jugement erroné. Chose remarquable et conforme à l’explication que nous venons de donner, c’est que, si pendant que le papier gris est placé en dessous du papier transparent et jugé vert, on place par-dessus et qu’on tienne à la main un autre petit morceau de papier gris exactement de même nature, l’illusion disparaît pour reparaître aussitôt qu’on le lâche.

« Il est donc maintenant prouvé, croyons-nous, que le jugement sur la couleur repose, sans doute, sur une propriété spéciale de la substance sensoriale optique, mais aussi sur des jugements antérieurs inconscients, et qui sont devenus tels par un effet de l’habitude ou parce qu’ils reposent sur l’instinct. »

À l’appui de cette explication, M. Delbœuf rappelle ce qui se passe dans la perception de la forme des objets. Dans un tableau, il faut pour nous donner la représentation d’une table carrée, que le peintre trace un quadrilatère souvent fort irrégulier. Chacun se fait une idée différente de la dimension de la lune, parce qu’on juge de sa grandeur suivant la distance où on la croit placée : pour les uns, elle est de la grandeur d’une table ; pour d’autres, d’une assiette ; pour d’autres encore, d’une soucoupe.

Quand il s’agit d’objets à l’égard desquels nous n’avons pas acquis d’habitude, nous ne pouvons nous faire aucune idée exacte de leur grandeur. Nous ne pouvons, par exemple, juger quelle est la grandeur du cadran d’une cathédrale ou du coq qui surmonte un clocher ou de l’élévation d’une montagne.

En revanche, quand nous connaissons les proportions d’un objet, nous sommes trompés, pour ainsi dire, en sens contraire. Ainsi nous sommes familiarisés avec la taille ordinaire de l’homme ; de là, il suit qu’un homme qui nous apparaît au loin dans la plaine ou au sommet d’un clocher ou d’une colline, est vu tel qu’il est ; tandis que des statues colossales, placées à hauteur convenable, sont vues de