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il passe presque tout à fait sur le terrain de l’hégélianisme. Toute la modification apportée par moi à la doctrine de Schopenhauer sur la négation de la volonté, consiste en ce que j’ai tiré la conséquence inévitable de son monisme, à savoir : que nous ne pouvons pas concevoir la négation de la volonté individuelle, mais seulement universelle. D’après l’analogie de la modification apportée par Frauenstaedt à la doctrine de Schopenhauer sur la liberté de la volonté, il serait certainement obligé d’approuver cette conséquence tirée du monisme, dès qu’en reconnaissant une fin au processus du monde, il admettrait la possibilité du retour futur du vouloir à un état de repos. En comparaison de cette transformation essentielle (de la négation individuelle de la volonté en une négation universelle) la modification relevée par Frauenstaedt, que je ne puis pas regarder le quiétisme et l’ascétisme comme le chemin conduisant à la négation de la volonté, paraît d’autant plus secondaire qu’il cite lui-même un passage de Schopenhauer[1] dans lequel celui-ci déclare en contradiction avec sa théorie ascétique que : « nous devons concourir de tous nos moyens à l’accomplissement des buts de la nature ; » car « la nature conduit la volonté à la lumière, parce que celle-ci peut trouver sa délivrance seulement à la lumière. »

Je n’ai jamais, comme Frauenstaedt le prétend, posé « le désillusionnement » du genre humain comme but, mais seulement comme moyen pour le but de la négation universelle de la volonté. C’est pourquoi je ne professe pas « que le progrès du monde est absolument sans valeur » ; je demande, au contraire, que nous y concourions de toutes nos forces et je dis seulement qu’il est sans valeur dans le sens d’un but positif du monde, ce qui ne l’empêche pas d’être d’une importance très-grande comme moyen d’arriver au but négatif du monde (la délivrance des tourments de l’existence). Ce but n’est pas non plus, comme Frauenstaedt le pense, pessimiste : il est optimiste puisqu’il vise à la condition universelle la meilleure possible ; ce n’est pas ma faute si cette condition la meilleure possible est le néant. Le reproche d’avoir « faussé » le sens usuel du mot optimisme repose donc sur une erreur. D’ailleurs, j’aurais eu le droit de nier la valeur du concept optimisme pour la conception eudémonologique de la vie en elle-même et de l’affirmer seulement pour la conception téléologique évolutioniste, quand même j’aurais de cette façon altéré le sens usuel de ce mot. Il en est de même du mot pessimisme dont Frauenstaedt ne veut autoriser l’emploi que dans un sens superlatif et qu’il refuse d’appliquer à un système du monde

  1. Voyez : Le monde comme volonté et représentation, i, p. 473 et suiv.