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E. de Hartmann. — schopenhauer et frauenstaedt

qui admet la possibilité de la négation de la volonté et de ses tourments. Cette différence d’opinion sur la terminologie ne change en rien nos vues sur la question elle-même. Le fait est que Frauenstaedt reconnaît avec moi dans le processus du monde une évolution conditionnée par l’idée. Il admet aussi que par suite de l’aveuglement de la volonté le nombre des souffrances et des maux excède celui des joies de la vie. Il convient enfin qu’il n’y a pas de contradiction logique dans la combinaison de mon optimisme avec mon pessimisme.

Dans ces questions donc Frauenstaedt s’éloigne aussi plus que moi de Schopenhauer et son point de vue est bien moins différent du mien que de celui de ce philosophe. La différence principale consiste d’abord en ce qu’il nie la possibilité d’une négation de la volonté comme but final négatif du processus du monde, et ensuite en ce qu’il est un peu indifférent à l’égard du problème du pessimisme. Il atténue et affaiblit les antithèses au lieu de s’élever par une synthèse hardie jusqu’à les concilier spéculativement. Mais cette atténuation jointe à la négation nominale du pessimisme éloigne de la physionomie du système de Schopenhauer ce trait caractéristique qui frappe de prime-abord l’esprit des profanes et s’imprime dans leur mémoire ; elle enlève à tout le système du monde de son maître ce parfum indélébile, particulier, répandu jusque dans les moindres détails. La philosophie de Schopenhauer avec son pessimisme, son quiétisme, son ascétisme indien et son idéalisme rêveur est par rapport à la transformation de Frauenstaedt, ce qu’est une forêt vierge aux couleurs brillantes, aux odeurs enivrantes, par rapport à une allée d’arbres berlinoise, couverte d’une poussière grise. Quand même on sacrifie sur l’autel de la vérité le quiétisme et l’idéalisme subjectif, le trait fondamental et caractéristique du système du monde de Schopenhauer subsistera néanmoins aussi longtemps que le pessimisme sera maintenu et développé plus fortement dans toutes ses conséquences afin de remplacer ce qui a été supprimé. Dès qu’on renonce au pessimisme, il ne peut plus être question d’une transformation réelle du système de Schopenhauer, à moins de donner à cette expression une signification un peu trop étendue.

XIII. — Le matérialisme.


Si dans la question du pessimisme et de la négation de la volonté Frauenstaedt fait subir de trop grands changements aux doctrines de Schopenhauer, il montre dans ses explications sur la position de ce