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moins à ceux qui ne sont pas avantagés de cet heureux don de la nature[1]. »

Une vérité mathématique n’est et ne peut être, sous sa forme première, qu’une hypothèse à vérifier ; mais, comme je l’ai observé déjà, l’hypothèse étant reconnue, par l’essai de démonstration, certainement vraie ou certainement fausse, ne subsiste pas avec un degré plus ou moins grand de probabilité, comme cela arrive pour les sciences de faits. Il en résulte que le rôle de l’hypothèse est plus facilement méconnu dans les mathématiques que dans les autres sciences. Il est constaté cependant par des auteurs dont la parole possède une juste autorité : « Dans une conversation sur la part que prend l’imagination aux travaux scientifiques, dit M. Liebig, un éminent mathématicien français m’exprimait l’opinion que la plus grande partie des vérités mathématiques ne sont pas acquises par déduction mais par l’imagination[2]. » Au lieu de « la plus grande partie » le savant français aurait pu dire « toutes » sans commettre d’erreur. La même vérité se trouve sous la plume de M. Claude Bernard : « Le mathématicien et le naturaliste ne diffèrent pas quand ils vont à la recherche des principes. Les uns et les autres induisent, font des hypothèses et expérimentent[3]. »

Le père de Pascal avait défendu à son fils, encore enfant, de s’occuper de mathématiques. Le fils, enfreignant la défense paternelle, s’amusait à tracer sur les murs de sa chambre de récréation des ronds et des barres avec un morceau de charbon, et à réfléchir sur la propriété de ces figures. Madame Perrier, sa sœur, affirme qu’il découvrit ainsi les trente-deux premières propositions d’Euclide[4]. Je me rappelle avoir enseigné, à l’occasion de ce fait, que les mathématiques sont une science de réflexion pure, de telle sorte qu’il suffit de réfléchir pour découvrir les théorèmes. En y pensant mieux, j’ai reconnu que nombre de gens, parmi lesquels je me range, auraient pu réfléchir toute leur vie sans trouver les trente-deux propositions d’Euclide. Les éléments communs de la raison cultivés par la réflexion personnelle ne suffisent pas pour expliquer le fait ; il fallait le génie de Blaise Pascal.

Si nous passons aux sciences de faits nous rencontrons partout l’hypothèse, qu’il s’agisse d’établir des classes, de poser des lois, de déterminer des causes ou des buts.

  1. Histoire des Mathématiques, tome II, page 343.
  2. Le développement des idées dans les sciences naturelles, p. 38.
  3. Introduction à l’étude de la médecine expérimentale, p. 81.
  4. Vie de B. Pascal, écrite par Madame Périer, sa sœur. Cette vie se trouve en tête de la plupart des éditions du livre des Pensées.