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ANALYSESP. d’ercole. — La Pena di morte.

Pasquale d’Ercole. La pena di morte e la sua abolizione dichiarate teoricamente e storicamente segondo la filosofia hegeliana. Milano-Napoli, 1875.

On raconte que Léonard de Vinci, grand inventeur de trucs ingénieux, fit entrer un soir après dîner quelques amis dans une pièce mal éclairée où il les laissa seuls, et qu’alors il mit en mouvement une soufflerie qui gonfla tout à coup une multitude de ballons dissimulés dans tous les coins : les ballons prirent en peu de temps des proportions telles que les malheureux invités, peu à peu resserrés au milieu de la pièce, se virent bientôt envahis de toutes parts et, perdant pied, demandèrent grâce à leur hôte. Je ne sais si cette histoire est vraie ; mais elle me vient en mémoire chaque fois que je lis un ouvrage de philosophie hégélienne.

M. d’Ercole est plus hégélien que Hegel, il l’est même plus que M. Véra. Du moins il nous assure qu’au sujet de la peine de mort Hegel et M. Véra se sont écartés des vrais principes hégéliens. Infidélité vraiment regrettable, car « la doctrine hégélienne, » tout le monde le sait, « est le dernier mot de la pensée philosophique ; elle en donne la plus haute ainsi que la plus complète manifestation et systématisation » (pag. 11). M. d’Ercole nous le dit « avec simplicité, sans pompe aucune et tout à fait sérieusement. »

Voyons donc en quoi M. Véra contredit la pensée du maître. Il prétend que la doctrine hégélienne n’entraîne pas pour l’État la négation du droit d’infliger le dernier supplice. Tel est son crime. Hegel a-t-il donc déclaré le contraire ? Pas précisément. Mais M. Véra a mal compris un passage de la Philosophie du droit où Hegel traite des rapports de l’État avec l’individu : « L’État, y est-il dit, n’est pas un contrat et son essence substantielle n’a pas pour condition absolue la défense de la sûreté de la vie et de la propriété des individus en tant qu’individus ; il est plutôt une entité supérieure qui exige le sacrifice de cette même vie et de cette même propriété. » De ces paroles, dirigées contre Beccaria, partisan de l’abolition de la peine de mort, M. Véra a tiré l’argument suivant : « L’État a le droit de vie et de mort sur l’individu, et c’est pour cela que comme il a le droit de faire la guerre et d’envoyer à la mort sur le champ de bataille, , il peut aussi envoyer à la mort sur le gibet. » Cela nous paraît assez logique : mais non pas à M. d’Ercole. Voici pourquoi. Il y a une grande différence entre l’acte d’envoyer un homme à la mort sur le champ de bataille et l’acte de frapper un homme de mort sur l’échafaud. Le second dépasse le droit de l’État ; le premier au contraire est légitime. D’abord, en effet, la mort du soldat n’est pas certaine ; il court seulement le risque de périr. Ensuite (que l’on suive bien ce raisonnement) : « Dans la guerre, à proprement parler, l’État n’envoie pas les citoyens en guerre, mais c’est lui, lui qui est la volonté et l’acte des citoyens, qui va en guerre lui-même. Les citoyens combattants sont l’État combattant ; et s’il y a risque de mort, il convient de dire que l’État s’y expose lui-même dans ses citoyens pour soutenir