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Ch. lévêque. — françois bacon métaphysicien.

nature et de l’expérience pour se rouler en tous sens dans leurs méditations personnelles et dans les conceptions de leur esprit. Au reste, ces fameux artisans de conjectures et, si l’on peut user de ce mot, ces intellectualistes que l’on tient cependant pour des génies sublimes et des philosophes divins, ont été justement châtiés par Héraclite quand il a dit : « Les hommes cherchent la vérité dans leur microcosme et non dans le grand univers[1] » Je choisis à dessein ces tirades où ce que nous nommerions aujourd’hui les purs méditatifs sont rudement traités. Il serait aisé d’en reproduire beaucoup d’autres, sans omettre la fameuse comparaison des idéalistes avec l’araignée et de leurs intuitions chimériques avec la toile fragile de cet insecte[2]. Un mot résume tous ces reproches et tous ces dédains : « De metaphysica ne sis sollicitus[3]. »

Mais qui donc, de nos jours, serait dupe de la majesté solennelle de ces jugements ? Qui ne sait que lorsque Bacon regarde une face des choses, soit qu’il l’admire, soit qu’il la méprise ou la déplore, il enfle les termes et la voix en homme qui veut parler à l’univers ? En le prenant alors au mot on s’expose à recevoir bientôt un démenti. Il n’est pas plus indulgent à l’égard des sensualistes absolus qu’envers les partisans de l’opinion contraire. « S’il est, — dit-il, — un mortel qui de la seule contemplation des choses sensibles et matérielles, se flatte de tirer assez de lumières pour rendre manifestes la nature et la volonté divines, cet homme est vraiment le jouet d’une vaine philosophie. » Les philosophes qui sont plongés dans le monde des sens, sont qualifiés par lui de a minime divini ». Un expérimentaliste exclusif ne reconnaîtrait qu’une sorte de connaissances : lui, il en compte deux : « La science est semblable aux eaux. Des eaux, les unes tombent du ciel, les autres viennent de la terre. La première division des sciences doit se tirer de la différence de leurs sources. De ces sources, les unes sont en haut, les autres en bas. Toute science, en effet, comprend deux espèces de connaissances : l’une qui est d’inspiration divine, l’autre qui s’élève du sein de la perception sensible[4]. »

Ainsi, que Bacon ait éliminé la connaissance rationnelle, celle d’en haut, il est impossible de le soutenir. Peut-être objectera-t-on qu’il n’a fait à l’activité propre de l’esprit qu’une part dérisoire. À la vérité sa pensée sur ce sujet est flottante comme toujours : elle oscille d’un contraire à l’autre et semble céder au souffle mobile de la

  1. De Augm., lib. I, t. I, p. 71.
  2. De Augm., lib. I, t. I, p. 63.
  3. Epistola ad F. Baranzanum, t. III, p. 546.
  4. De Augm., lib. III, cap. I, t. I, p. 101.