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qu’il y a une science de Dieu qui ne se confond pas avec la révélation mais dont la méthode n’est pas la même que celle de l’étude de la nature ; en d’autres termes Bacon attribue à la théologie naturelle une méthode qui n’est pas l’expérience, l’expérience étant, dans son langage, le rayon direct.

Autre est la méthode, autres aussi sont les résultats. Je ne prétends pas que Bacon ait adopté, en les désignant avec précision, les procédés de ce qui a été depuis lui nommé Théodicée : une métaphore ne saurait être l’équivalent d’une analyse psychologique. Je ne soutiens pas davantage qu’il ait toujours donné ou seulement laissé tacitement à la théologie naturelle toute sa portée et à la raison toute sa fécondité puissante. Il y a des moments où il leur coupe les ailes : « Vouloir, d’après la seule contemplation des choses naturelles et les principes de la raison humaine (ex intuitu rerum naturalium atque humanæ rationis principiis), raisonner sur les mystères de la foi, ou même les défendre avec plus de force persuasive, ou encore y mieux pénétrer ou les mieux analyser, ou en chercher l’explication, voilà à mon sens une dangereuse entreprise[1]. » Pourtant ces restrictions formelles sont restreintes elles-mêmes par d’amples concessions dont les plus remarquables vont fort loin, celles-ci par exemple : « Que Dieu existe, qu’il tient les rênes des choses ; qu’il est souverainement puissant, sage, prescient et bon ; qu’il est bon, rémunérateur, qu’il est vengeur, qu’on doit l’adorer ; on peut démontrer ces vérités et les rendre incontestables au moyen de ses œuvres. En prenant le même point d’appui, on peut encore, en gardant une certaine mesure, établir avec clarté des conclusions admirables et cachées sur les attributs de Dieu, et beaucoup mieux encore au sujet de la façon dont il gouverne l’univers et y répand ses bienfaits[2]. » Lorsqu’on a lu un peu plus loin que, en résumé, il n’y a pas lieu d’agrandir la théologie naturelle, parce qu’elle pèche plutôt par excès que par défaut, on ne laisse pas que d’être surpris en voyant Bacon y ménager une place à l’étude de la nature des anges et des démons. « L’essence des anges et des esprits, dit-il, n’est ni au-delà de la portée ni en dehors des droits de la connaissance humaine ; car l’affinité qui existe entre eux et l’âme humaine nous ouvre sur ces êtres une large et lumineuse perspective. » Élargir jusque-là les frontières de la théologie rationnelle, c’est assurément accorder à la métaphysique tout ce qu’elle oserait demander, et même davantage peut-être. Mais ce qui est

  1. De Augmen., lib. III, ch. Ier, t. I, p. 167.
  2. Ibid.