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Ch. lévêque. — françois bacon métaphysicien.

parties, dont l’une traite de l’âme rationnelle, et l’autre de l’âme irrationnelle. D’après lui, comme d’après l’Écriture, l’âme rationnelle, celle qui constitue essentiellement l’homme, tire son origine du souffle divin. Or, quoique toutes les questions qui intéressent cette âme supérieure « soient susceptibles, même en philosophie, d’être étudiées plus exactement, et avec plus de profondeur qu’elles ne l’ont été, néanmoins, c’est à la religion qu’il faut laisser le soin de les résoudre et de les décider, sans quoi nous serions exposés à des erreurs sans nombre et aux illusions des sens. » — « L’âme humaine ayant été produite par l’inspiration immédiate de Dieu… comment pourrait-on demander à la seule philosophie la connaissance de l’âme rationnelle ? Il est clair que cette connaissance doit être cherchée dans cette même inspiration divine dont la substance de l’âme est émanée[1]. »

Cependant, si courte et si maigre qu’elle soit, et qu’il l’ait puisée aux sources théologiques ou scientifiques, Bacon, sans la nommer, a une sorte de métaphysique de l’âme humaine. Il croit savoir, et il affirme, que « l’âme est la plus simple des substances[2]. » Il déclare que « l’âme humaine a une infinité de caractères qui la distinguent de l’âme des brutes, caractères sensibles même pour ceux qui ne philosophent que d’après les sens. » Il dit encore : « Nous ne goûtons pas la façon confuse et vague dont les philosophes ont traité des puissances de l’âme ; il semble, à les entendre, qu’il n’y ait entre l’âme humaine et celle des brutes qu’une différence de degré et non une différence véritablement d’essence, à peu près comme entre le soleil et les autres astres[3]. » On voit par là que si Reid et ses disciples procèdent de Bacon, ils sont de beaucoup moins hardis que leur maître et que celui-ci n’eût point approuvé les retranchements qu’ils ont infligés à la science de l’âme humaine.

Il nous reste à conclure, et notre conclusion est prévue. Bacon est un grand esprit, grand, dis-je, par l’élévation et par l’étendue ; mais il lui manque cette autre grandeur qui est la profondeur et sans laquelle il n’est pas de puissant philosophe. Étendu, large, élevé, cet esprit aperçoit, souvent avec une sûreté merveilleuse, les vrais rapports des choses et des sciences. De là ces échappées, ces prévisions, ces avertissements pleins d’autorité qui sont la richesse de ses ouvrages et dont beaucoup sont encore aujourd’hui et seront longtemps d’une haute utilité. De là aussi cette justesse de coup d’œil qui lui a montré la dépendance mutuelle des méthodes et lui a

  1. Novum Organum, lib. IV, c. III. t. I, p. 233-234.
  2. Ibid., c. II, p. 212.
  3. Ibid., c. III, p. 233.