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Critique de la raison pratique, que d’une foi purement morale : mais il devait être forcément amené, sous peine de laisser son œuvre inachevée, à se demander dans quelle mesure la philosophie critique peut se concilier avec la religion. Il est donc tout naturel que ses écrits offrent autant d’intérêt aux théologiens qu’aux purs philosophes. M. Colani, entre autres, avait déjà fait un Exposé critique de la philosophie de la religion de Kant dans une thèse présentée à la faculté de théologie de Strasbourg en 1855. C’est le même sujet que vient de reprendre, mais en le développant, M. Philippe Bridel, dans une autre thèse qu’a eu à examiner la faculté de théologie de l’Église libre du canton de Vaud.

Nous recommandons cette consciencieuse étude à tous ceux qui ne sont pas encore familiarisés avec les doctrines et les formules kantiennes ; le travail de M. Bridel est une excellente introduction à la lecture des grandes œuvres du maître : l’auteur ne s’en est pas tenu en effet à la simple analyse de la Religion dans les limites de la raison. Bien que Kant assure que « pour connaître ce livre dans son contenu essentiel il n’est besoin que de la morale commune, sans entrer dans la Critique de la raison pratique, encore moins dans la Critique de la raison pure, » un système aussi lié que le sien ne peut être brisé : il a besoin d’être saisi dans son ensemble, pour être bien interprété dans l’une quelconque de ses parties principales. M. Bridel l’a compris : il s’est mis courageusement à la tâche ; il a lu et il a lu de près non-seulement la Religion, non-seulement les trois Critiques, mais encore les écrits de moindre importance qui sont souvent d’un grand secours pour suivre le développement des idées de Kant ; il a mis surtout à contribution la Pédagogique, l’idée d’une histoire universelle, les Commencements probables d’une histoire de l’humanité, la Paix perpétuelle, et l’Antagonisme des Facultés. Ces recherches lui ont permis d’écrire dans une langue simple et claire un résumé méthodique, fidèle et suffisamment complet de la philosophie générale de Kant. C’est d’ailleurs un résumé critique où les objections ne sont pas ménagées à l’idéalisme transcendantal, mais où elles ne dégénèrent jamais en futiles chicanes.


Le livre est divisé en deux parties dont la première, plus spécialement philosophique, est consacrée à l’examen des thèses fondamentales de l’idéalisme. On sait, mais il n’est pas inutile de rappeler que toute l’œuvre de Kant est dans l’établissement, la délimitation et la conciliation des droits de la science et de la conscience. La science est certaine, mais elle a des bornes qui lui sont imposées par la constitution même de la sensibilité et de l’entendement : lorsqu’elle sort des limites du connaissable — or, nous ne connaissons que ce qui nous apparaît, non ce qui est ; des phénomènes, non des noumènes — lorsqu’elle prétend appliquer au-delà et au-dessus de l’expérience ses procédés d’induction ou de démonstration, elle n’est plus qu’une vaine