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bouillier. — de la règle des mœurs.

Après toutes ces explications nous croyons pouvoir dire, sans trop de témérité, et, nous l’espérons bien, sans aucun scandale, que l’homme est sa loi à lui-même, qu’il la porte au dedans de lui imprimée dans son essence même, ou, en d’autres termes, que la règle immédiate des mœurs, que la forme du bien, est celle même de l’homme, forme qui n’est point un concept vide de l’entendement, disons-le, puisque, encore une fois, elle a un contenu qui est la nature humaine elle-même.

La loi de la conscience et la loi de notre nature ne sont qu’une seule et même chose, lex naturæ est lex conscientiæ[1] comme l’a dit Wolf et avant lui plus d’un philosophe et même plus d’un théologien[2] ; aussi n’avons-nous nullement la prétention d’être des novateurs plus ou moins téméraires. Avec quelle raison n’invoquons-nous pas la conscience, toutes les fois qu’il s’agit du devoir, et quelle meilleure preuve, à l’appui de toute notre doctrine morale ? Quelle est en effet cette conscience qui, lorsque nous l’interrogeons, nous dit, d’une manière si souveraine, ce qu’il convient de faire et ce qui ne doit pas être fait ? D’où lui vient une pareille autorité, sinon de ce que la conscience, qui est si bien dénommée, est la connaissance intime, immédiate de ce que nous sommes ? C’est dans cette notion de ce que nous sommes qu’est enfermée la règle de ce que nous devons faire, en vertu du lien nécessaire entre notre nature propre et notre fin, entre notre fin et notre devoir. Telle est sans doute la raison de la prédominance de la signification exclusivement morale de ce mot de conscience, dans la langue de tous, dans celle du lettré et du moraliste, comme dans celle du peuple, partout ailleurs que dans le vocabulaire des psychologues. C’est bien en effet la conscience, la conscience toute seule de ce que nous sommes qui détermine, qui commande, en toute occasion, en toute circonstance, la façon dont nous devons nous comporter et agir.

Pour compléter cette explication par l’analyse d’autres phénomènes moraux, qu’est-ce encore que la satisfaction morale, sinon la conscience d’avoir agi comme il convenait à un homme d’agir ? Qu’est-ce que le mécontentement de soi, le remords, sinon la conscience

  1. Logica, dise, préliminaire, § 521.
  2. Conscientia sui ipsius scientia, a dit saint Bernard (Tractatus de conscientia). Les Pères de l’Église eux-mêmes étaient moins scrupuleux sur ce point que quelques philosophes spiritualistes de nos jours. Je citerai encore ici ce que dit saint Paul de la morale des gentils : Cum gentes quae legem non habent naturaliter ea quæ legis sunt faciunt, ejus modi legem non habentes ipsi sunt lex (Epist. ad Rom., cap. 2, v. 14). Saint Ambroise a dit de même : Ea lex non scribitur sed profluo quodam naturali fonte in singulis exprimitur.