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donc avec elle ses lois et les applique à tout ce qu’elle représente et il faut dire avec Leibnitz, mais en corrigeant un peu sa formule : Nihil est in inteliectu quod non sit etiam in sensu — nisi ipse intellectus, dont la contre-partie d’ailleurs est également vraie : Nihil est in sensu quod non sit etiam in inteliectu — nisi ipse sensus puisque les formes sensibles, quoique liées aux fonctions organiques, appartiennent aussi à la conscience[1].

Il n’est pas de système qui soit plus intéressé que le criticisme à dresser ou à essayer de dresser le tableau des catégories, puisqu’il doit reposer essentiellement sur la critique de l’entendement, et que c’est de là qu’il tire son nom. On connaît la tentative de Kant, mais je dois la rappeler ici en peu de mots : avant Kant, on expliquait la conformité de la pensée et de la réalité par la fidélité des images ou des idées que l’esprit recevait ou qu’il se faisait de l’être. D’où, ce doute : qui peut nous garantir la fidélité de la représentation ? ou plutôt : le monde tout entier n’est-il pas simplement un ensemble fuyant de phénomènes sans consistance, comme le prétend Hume ? Mais alors plus de vraie réalité et plus de science. Pour échapper au scepticisme, il faut que ce soient nos représentations, nos jugements qui expliquent les réalités en s’y appliquant, et que d’autre part notre entendement porte en lui-même les formes et les lois sous lesquelles tombent tous les phénomènes : lois universelles, lois nécessaires que suppose forcément toute expérience, puisqu’elles sont les conditions de toute représentation. En d’autres termes comment des jugements synthétiques à priori, des jugements qui sans dépendre de la matière de la connaissance établissent des rapports primordiaux de tout le connaissable, et donnent d’inébranlables fondements à la science, — comment de tels jugements sont-ils possibles ? Kant ne nie pas et ne peut pas nier le principe de contradiction ou d’identité sans lequel il n’y a pas de pensée logique : les jugements analytiques restent inattaquables, mais comme ils ne font que développer le contenu de la connaissance, ils supposent des données d’une autre nature, des affirmations premières, des synthèses irréductibles qu’il s’agit de dégager. Le problème ainsi posé, Kant distingue les formes de la sensibilité (l’espace et le temps) qui sont les conditions de toute représentation ; les catégories de l'entendement ou fonctions du jugement, au nombre de douze, qui servent à relier les phénomènes, c’est-à-dire à les penser, et, en les pensant, à les constituer en objets, au sens kantien du mot ; enfin les idées de la raison, qui sous la notion commune de

  1. Psychologie rationnelle, I, 92 et 39.