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naville. — hypothèses sérieuses

Le génie ne tombe pas directement dans la sphère de la volonté ; c’est une faculté propre à l’individu et véritablement innée ; il n’y a aucun moyen de se donner plus de génie qu’on n’en a, mais il y a des moyens d’utiliser celui qu’on possède, et ces moyens constituent les conditions secondaires des hypothèses sérieuses dans la personne des savants. Nous en indiquerons trois : l’effort qui produit le travail persévérant, l’indépendance de la recherche, et la loyauté de la pensée.

La base indispensable de toute théorie sérieuse est la connaissance des faits que la science a pour but d’expliquer, connaissance qui s’acquiert, soit par l’étude directe et personnelle des phénomènes, soit par l’étude des témoignages qui établissent les faits constatés par d’autres. Il n’est pas impossible qu’un esprit inventif et relativement ignorant, rencontre, un jour, une pensée vraie qui aura échappé à de plus instruits que lui. C’est la conséquence du caractère spontané du génie ; la faculté de découvrir n’est nullement proportionnelle aux acquisitions de la mémoire. Il est cependant infiniment probable que l’esprit le mieux doué pour les découvertes ne produira que des chimères sans une étude patiente et laborieuse des sujets dont il s’occupe. L’hypothèse réclame donc un travail antérieur à sa production qui lui sert de base. Ce n’est pas tout : une fois qu’une hypothèse a été conçue, il faut la suivre dans ses conséquences et les vérifier. La sixième partie du Discours de la méthode de Descartes, est intitulée : Quelles choses sont requises pour aller plus avant en la recherche de la nature ? Une des choses requises est de se concentrer sur son travail, ce qui exige souvent le sacrifice de bien des ambitions et de bien des vanités. Descartes, sur ce point, a joint l’exemple au conseil. Lorsqu’il termine le Discours de la méthode par ces mots : « Je me tiendrai toujours plus obligé à ceux par la faveur desquels je jouirai sans empêchement de mes loisirs, que je ne le serais à ceux qui m’offriraient les plus honorables emplois de la terre, » il nous indique comment, en s’éloignant du monde et des préoccupations de la vie sociale, il a employé, sans en rien perdre, son prodigieux génie. La part de sa volonté est très-apparente dans son œuvre. Newton offre aussi un bel exemple de consécration entière à la recherche de la vérité scientifique.

L’effort nécessaire au développement du génie prend quelquefois la forme du courage en face du danger. Il faut du courage aux explorateurs scientifiques des régions inconnues du globe, des hautes cimes et des profondeurs de l’Océan. Pline a payé de sa vie le spectacle du Vésuve en éruption. Le laboratoire aussi a ses dangers. Davy, dans le cours de ses expériences sur les gaz, respira volontai-