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naville. — hypothèses sérieuses

cession des hommes que dans les âges différents d’un particulier. De sorte que toute la suite des hommes, pendant le cours de tant de siècles, doit être considérée comme un même homme qui subsiste toujours et qui apprend continuellement, d’où l’on voit avec combien d’injustice nous respectons l’antiquité dans ses philosophes ; car, comme la vieillesse est l’âge le plus distant de l’enfance, qui ne voit que la vieillesse dans cet homme universel ne doit pas être cherchée dans les temps proches de sa naissance, mais dans ceux qui en sont les plus éloignés ? Ceux que nous appelons anciens étaient véritablement nouveaux en toutes choses, et formaient l’enfance des hommes proprement ; et comme nous avons joint à leurs connaissances l’expérience des siècles qui les ont suivis, c’est en nous que l’on peut trouver cette antiquité que nous révérons dans les autres[1]. »

Le joug d’Aristote est brisé depuis longtemps, et les textes des anciens philosophes ne nuisent plus à l’indépendance des recherches. On peut toutefois trouver encore quelques traces des préjugés de cet ordre chez les esprits trop exclusivement attachés aux opinions reçues, à la science officielle des académies et des corps enseignants. Quelques-uns de nos contemporains tombent dans un défaut contraire en prenant la nouveauté d’une idée pour un gage de sa vérité. Cette disposition nuit comme l’autre à la véritable indépendance de l’esprit, qui doit se tenir en garde aussi bien contre l’engouement de la nouveauté que contre une disposition servile à regard du passé. En science, de même qu’en politique, il faut se défendre également des préjugés conservateurs et des préjugés novateurs. La règle de nos pensées ne doit être ni le vieux ni le neuf, mais le vrai.

Une influence extra-scientifique, qui a régné pendant le moyen-âge, et qui, beaucoup plus que l’influence de la philosophie ancienne, a survécu à cette période de l’histoire, se rattache aux idées religieuses. La foi religieuse est inséparable d’une autorité constituée par cette foi même ; mais cette autorité qui n’existe que pour les croyants, puisqu’elle ne résulte que de leur croyance, doit demeurer circonscrite dans le domaine propre de la religion. Je n’aborderai pas ici les questions compliquées qui résultent des rapports de l’ordre religieux avec les sciences, lorsqu’on fait entrer dans le débat les textes des livres sacrés juifs et chrétiens. Si l’on parle seulement des sciences naturelles et de la foi religieuse dans sa généralité le problème n’est pas très-compliqué, et se résout par la délimitation

  1. Édition Faugère, tome I, page 98.