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à la religion, du moins à l’intelligence de la foi. Et la foi, il la comprend, comme l’avait comprise Spinoza[1], il la réduit au précepte divin de l’Écriture : Aimez-vous les uns les autres. Elle est pour lui la justice et la charité, elle est la morale. Mais, de plus, l’originalité d’Arnold est surtout dans l’alliance qui s’est formée chez lui entre le sentiment moral et le sens esthétique ou littéraire. À ses yeux, la Bible est tout ensemble le livre des poètes et des moralistes, elle ne peut être lue avec fruit, sans une grande délicatesse d’imagination jointe à une parfaite sûreté de conscience. Elle ne trahira son secret, et ne servira de guide à la vie que si elle est sondée par un humaniste de goût. Le tact poétique est ici comme l’épreuve et la garantie de la pureté morale. C’est l’art appelé à se prononcer sur la religion. Ou mieux, c’est l’esprit de la Renaissance introduit dans la réforme même. En un tel effort, il semble que s’évanouissent les différences profondes qui si souvent ont séparé, dans l’histoire, l’Hellénisme et le Judaïsme[2], l’art et la foi. Il ne reste plus que sympathie pour l’humanité tout entière, pour toutes ses croyances, pour toutes ses œuvres, avec la pensée généreuse de cultiver en elle tous les sentiments nécessaires à son bonheur, à sa dignité, à sa noblesse.

Dans le plus curieux peut-être de ses écrits « Culture and Anarchy », Arnold avait franchement pris parti pour l’art et la science ; il semblait croire que la vie humaine n’a pas d’emploi plus élevé ni plus sûr. Il se donnait comme un converti à la haute discipline intellectuelle des Spinoza et des Goëthe. Dans « Literature and Dogma » au contraire, au-dessus de la science, au-dessus de l’art, il place la conduite ; et avec la précision arithmétique d’un Bentham, il énonce cette loi, à savoir : que la conduite est les trois quarts de la vie, la culture intellectuelle ne compte plus que pour un quart, un huitième d’art, un huitième de science. Seulement ce dernier quart a une importance capitale, si pour trouver le modèle, la règle, le divin exemplaire de la conduite, il faut consulter et lire le livre par excellence, où, dès longtemps, cet idéal a été tracé : c’est la Bible que je veux dire. La sagacité scientifique et le goût littéraire : sans ces deux interprètes, le livre de vie n’est pas compris et l’homme ne voit pas l’idéal de conduite qui y est renfermé. Avec eux, la Bible reçoit son vrai sens, et la conscience son enseignement. Tel dogmatique obstiné qui prétend n’aborder l’Écriture qu’avec la dévotion littérale du pharisien, s’expose, par l’oubli de ses instincts d’humaniste, à faire, soit de la science, soit de l’art, un usage périlleux ; pour n’avoir pas bien lu la Bible on risque d’y trouver ce qui n’y est pas, des imaginations fantastiques, des raisonnements fictifs, des systèmes qui sont pure chimère. Toutes les erreurs, toutes les superstitions de l’exégèse sacrée n’ont peut-être d’autre cause que cette fausse direction où s’égarent les instincts naturels d’art et de

  1. Spinoza. Tractatus theologico-politicus, chapitre XIV.
  2. Ces deux termes reviennent sans cesse en Angleterre dans les controverses religieuses et morales.