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p.janet. — qu’est-ce que l’idéalisme ?

que nous avons dit précédemment peut être encore appliqué ici.

Enfin on peut faire une troisième hypothèse. Le fond des choses, dira-t-on, n’est ni la chose pensante, ni la chose pensée ; il est ce qu’il y a de commun entre l’une et l’autre, l’identité du sujet et de l’objet, du réel et de l’idéal, de l’esprit et du corps, en un mot, l’absolu. Un tel système ne sera ni matérialisme, ni spiritualisme. Ce sera l’idéalisme. J’accorde qu’un tel point de vue ne sera ni matérialiste, ni spiritualiste ; mais il n’est pas davantage idéaliste. Il est l’indifférentisme, l’identitarisme, mais n’a aucun titre à s’appeler idéalisme. Nous n’avons pas à critiquer un tel système ; mais nous disons qu’une idée qui n’est ni pensante, ni pensée, n’a aucun titre à conserver ce nom. C’est quelque chose d’irréprésentable, c’est un pur abstrait, que nous croyons penser, parce que nous pensons le complexe dont il est extrait, à savoir notre conscience : mais en réalité, c’est un pur rien : car, si des choses qui nous entourent, nous retranchons : 1° Leur réalité externe ; 2° La représentation (ou conscience) que nous en avons, ce qui reste, c’est = 0. L’idéalisme absolu, s’il veut être quelque chose, ne serait donc pas le système qui placerait l’être au point de coïncidence de l’idéal et du réel, dans l’indifférence des deux, mais au contraire celui qui confondrait absolument la chose pensante et la chose pensée, dans une conscience absolue : mais alors encore il ne serait plus idéalisme, mais spiritualisme absolu. Si, en effet, on veut lui donner un contenu, il faut admettre l’identité non pas négative, mais positive des deux termes, non la suppression et abstraction de l’un et de l’autre dans un indéterminé absolu, mais au contraire leur fusion et absorption commune dans un absolu déterminé. Ce sera l’identité du pensé absolu et du pensant absolu : mais cela même, c’est la conscience, c’est l’esprit. Ainsi l’esprit sera encore une fois le fond des choses : et ce sera encore au spiritualisme que l’on sera revenu de tous les côtés. L’idéalisme, de quelque point de vue qu’on l’envisage, n’est donc autre chose que le spiritualisme lui-même.

Paul Janet,
de l’Institut.