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homme de cinquante ans, cette même année ne sera plus qu’un cinquantième : elle paraîtra donc plus courte dans la proportion de 50 à 10, c’est-à-dire cinq fois plus courte. Un homme de 50 ans vit donc 5 fois plus vite qu’un enfant de 10 ans. Chacun d’eux, en effet, compare inconsciemment sa durée partielle à la durée totale. Pour un enfant de dix ans, dix ans sont la plus longue durée dont il ait fait l’expérience ; mais pour l’homme fait, cette durée n’est plus qu’une portion d’un tout : elle ne peut donc pas lui représenter la même chose ; pour l’enfant, le de 10 ans, c’est-à-dire un an, lui fera donc le même effet que le de 50, à savoir 5 ans, à l’homme de 50 ans. Ce qui le prouve encore, c’est que les souvenirs lointains de l’enfant de 10 ans lui paraissent aussi éloignés de lui que les souvenirs de l’homme de 50. Il dit : quand j’étais petit ; de même que l’homme dit : quand j’étais jeune. Pour l’enfant de 10 ans, avoir été petit, c’est avoir eu 3 ou 4 ans ; comme pour l’homme de 50 ans, avoir été jeune, c’est avoir eu 20 ans : et c’est toujours la même proportion.

La contre-partie de cette illusion et qui vient encore de la même cause, c’est que pour l’enfant et même le jeune homme, l’âge de 50 ans paraît un âge prodigieusement avancé, et tout près de la tombe ; tandis que pour le cinquantenaire, c’est encore un assez bel âge, qui vaut bien la peine de vivre, et où on a encore quelque temps devant soi. Ici, la cause est que le jeune homme se représentant d’une manière vague l’ensemble du temps très-éloigné qu’il croit avoir encore à vivre, ne fait aucune différence entre un point et un autre de cette durée. Il peut comparer sa propre durée (dont il a fait l’expérience) à la durée totale de la vie humaine, prenant naturellement pour terme, le plus éloigné, que chacun espère pouvoir atteindre : mais pour les diverses portions de cette durée, il n’a aucune donnée, et il les confond toutes. Au contraire, à mesure qu’on avance dans la vie, ces portions indistinctes prennent une valeur déterminée : la portion qui reste à parcourir peut bien sans doute paraître de plus en plus petite : mais elle a toujours une certaine étendue, et par conséquent elle conserve un prix quelconque à partir du point où l’on est. L’enfant de 10 ans peut bien ne pas distinguer entre 50 et 70, qui lui paraissent également éloignés de lui : mais celui de 50 ne peut pas considérer comme rien l’intervalle de 20 ou 30 qui le séparent du terme possible.

On pourrait donc trouver ici une sorte de loi en sens inverse de la précédente : c’est qu’une portion du temps à parcourir paraîtra d autant plus longue* que ce temps sera plus court. Pour un jeune homme de 20 ans qui se représente comme limite de la vie l’âge de