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systèmes, Jacobi qui combat la doctrine de Kant. Je ne parle pas de Herder et de sa Métacritique ; mais on a vu qu’ils étaient considérés comme marquant les débuts de la philosophie allemande et classés parmi les prédécesseurs de Kant. C’est Schleiermacher qui ouvre cette voie de la réaction. M. Harms accorde à ce penseur à la fois dialecticien, logicien, théologien, moraliste, critique, historien de la philosophie et traducteur de Platon, une place dans la philosophie allemande qu’il est difficile de lui reconnaître. Et, il faut le dire, l’exposition de ses doctrines morales ne justifie pas cette importance. Est-il vrai qu’il ait introduit un point de vue nouveau, qu’il ait enrichi la morale d’une théorie nouvelle des biens et des devoirs ? Tout cela est fort exagéré. L’originalité véritable de ce penseur sera toujours fort contestée. Son vrai mérite aux yeux de tous sera celui de critique, d’historien de la philosophie et de traducteur de Platon. M. Harms, dans les quarante pages qu’il lui consacre, ne parvient guère à changer cette opinion.

Herbart a une tout autre valeur comme philosophe. Au moins a-t-il laissé après lui une école. Il est bien autrement original et précis. On peut ne pas aimer sa doctrine, la trouver étrange, même relever le manque de cohérence dans les parties qui la composent, surtout le désaccord de sa métaphysique et de sa morale. On peut, comme le fait très-bien M. Harms, signaler les vices de sa méthode mathématique appliquée à la psychologie et aux phénomènes de l’âme ; mais il n’en a pas moins montré une grande finesse dans ses analyses et un talent incontestable dans sa polémique contre les écoles régnantes. M. Harmss lui-même le reconnaît. Quant à la philosophie pratique, il est certain que la morale esthétique de Herbart n’a pas ajouté beaucoup aux richesses de l’éthicisme dans la philosophie allemande.

Nous l’avons dit, M. Harms fait peu de cas de la philosophie de Schopenhauer. À ses yeux elle est un accident et comme une « excroissance, dans la philosophie allemande ». Pourquoi alors clore cette revue des systèmes allemands par cette philosophie ? Cela est peu logique. Il est vrai qu’il réfute très-bien le pessimisme de Schopenhauer. Il y voit avec raison un égoïsme raffiné qui se déguise mal sous la forme de la résignation, et qui ne peut s’acclimater en Europe, opposé qu’il est au principe même de notre civilisation. Mais n’accuse-t-il aucun malaise ? Comment a-t-il obtenu cette vogue et cette renommée posthumes ? Comment a-t-il en Allemagne tant de partisans ? Les raisons tirées du talent littéraire et original de l’auteur nous semblent insuffisantes. Fallait-il passer à peu près sous silence les disciples ou les continuateurs de cette doctrine entre lesquels le Dr  de Hartmann occupe un rang si élevé ? Du reste l’état actuel de la philosophie en Allemagne nous paraît à peine indiqué. Deux ou trois pages sur l’idéalisme, le réalisme et les autres écoles sont loin de donner une idée exacte et complète du mouvement des esprits, dans la phase que la pensée philosophique traverse aujourd’hui chez les compatriotes de Kant comme chez les autres peuples de l’Europe.