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ANALYSESardigò. — La Psicologia.

doctrine montre sa vitalité par le nombre même des systèmes qu’elle suscite.

M. R. Ardigò se distingue de tous les philosophes que nous venons de mentionner. Dans ce volume où il se réfère à une multitude d’ouvrages, A. Comte n’est pas une fois nommé. Du reste, le fait seul d’écrire un traité de psychologie montre assez que les idées de l’auteur ne sont pas puisées à la source de l’ancien positivisme. D’autre part, il se sépare sur un point capital de l’évolutionnisme anglais. L’absolu n’est pas seulement pour lui l’inconnaissable ; c’est le néant. Ses conclusions sur les problèmes métaphysiques sont résolument négatives. Nous sommes donc amenés à reconnaître ici une conception originale, propre à l’écrivain détalent que nous étudions.

Entrons dans l’analyse du livre. Si nous laissons de côté la division en chapitres[1] pour saisir l’idée fondamentale, nous nous trouvons en présence de renonciation suivante : Les sciences de la nature se sont constituées et ont pris un rapide essor du jour où elles ont renoncé à la recherche des causes et des substances, se bornant à étudier les phénomènes et leurs lois. Il doit en être de même de la psychologie : c’est la recherche des causes transcendantes qui l’entrave en ce moment : qu’elle y renonce ; qu’elle s’attache aux faits, et elle prendra rang parmi les sciences positives. Bref, la thèse de M. Ardigò est l’assimilation complète de la méthode psychologique à la méthode expérimentale, telle qu’elle est pratiquée par le physicien, le chimiste et le biologiste.

Nous n’avons pas besoin de faire remarquer que la partie importante d’une telle démonstration, c’est celle où il sera établi que la psychologie est une science soumise aux mêmes conditions que toutes les autres. Que les sciences expérimentales proprement dites aient gagné à rompre tout commerce avec la métaphysique, c’est ce que l’on ne conteste que faiblement même parmi les métaphysiciens les plus résolus. Aussi M. Ardigò eût-il pu se dispenser de s’étendre aussi longuement sur ce point. Ce que l’on conteste, c’est que la psychologie soit l’une quelconque des sciences expérimentales ; c’est là que l’auteur eût dû porter tout son effort au lieu de ne consacrer à cette proposition que le tiers de son ouvrage. Mais comme cette partie renferme une discussion assez vigoureuse et des opinions assez saillantes, elle réclame de nous un examen attentif.

Le moi, à la fois substance et cause des phénomènes de conscience, le moi, entité distincte des modifications et des actes qui se rattache à lui, voilà donc le but des attaques de l’auteur. Son principal argument est tiré de la manière successive dont se forme cette idée en nous. Une longue expérience des phénomènes internes l’engendre seule. De même

  1. Il y en a trois principaux, d’importance à peu près égale ; le premier peut être intitulé : de la méthode dans les sciences de la nature ; le second : de la méthode en psychologie ; le troisième : conséquences métaphysiques et morales de l’emploi de la méthode expérimentale en psychologie.