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que l’ridée de la matière est produite dans l’esprit par la somme des représentations particulières de choses dites extérieures que nous avons recueillies après un long temps, ainsi l’idée de l’âme est le résultat, la somme des connaissances particulières que nous avons obtenues de nos états internes après un temps non moins long, puisque ces deux idées sont corrélatives. En un mot, l’une et l’autre sont le fruit d’une généralisation lente. Quand on gravit une montagne ce n’est que peu à peu qu’on découvre les différents sommets secondaires, jusqu’à ce qu’une seule et confuse image se forme de la montagne tout entière. Il n’y a rien de plus dans le concept de l’âme ; on n’y trouve que la mémoire confuse des faits psychologiques expérimentés, une espèce de compénétration mentale en un seul schême de leurs qualités et de leurs genres. Idée générale tirée de cas particuliers concrets, l’idée du moi est donc une idée abstraite. On n’y peut découvrir aucun autre élément que les phénomènes d’où elle est tirée. Dès lors elle ne doit plus être considérée comme le point de départ de la science ; elle en est le point d’arrivée : loin d’être un principe immuable qui s’impose à l’étude des phénomènes, elle est un ensemble d’inductions mouvantes, qui s’étendent et se développant à mesure que les faits sont mieux étudiés.

Mais, dit-on, un fait dont on a conscience n’est pas un pur phénomène ; la conscience de sa cause est impliquée dans la conscience que nous en avons. La conscience est à elle-même sa propre substance, tandis que la matière que l’analyse réduit facilement à un ensemble de représentations, trouve dans l’esprit son véritable support. — On oublie, quand on élève de telles objections, que le moi et le non-moi sont inséparables, comme l’envers et l’endroit de la même étoffe. Si l’esprit cessait d’exister, il n’y aurait plus de matière ; cela est vrai ; mais si la matière cessait d’exister, il n’y aurait plus d’esprit, car celui-ci, dénué d’objet, cesserait d’exister pour lui-même. Il ne faut pas perdre de vue l’origine de ces deux concepts ; dans nos premières sensations, ils sont indiscernables et forment un tout homogène, qu’une habitude mentale prolongée parvient seule à scinder en deux parts. Cette habitude est inconsciente, et nous finissons par raisonner sur les abstractions réalisées qui en sont le résultat comme si elles constituaient des objets indépendants. Mais le caractère bilatéral de toute représentation est notre œuvre : « La chose est une, si ses aspects sont doubles. » Vue sous un angle ou sous un autre, cette chose n’est qu’un agrégat de phénomènes.

On veut trouver la solution des problèmes psychologiques dans l’examen de la conscience actuelle. Procédé trop favorable à toutes les illusions. Par exemple on observe un acte de volonté, tel qu’il apparaît inopinément dans la conscience, et comme ses antécédents sont ou lointains déjà, ou proches et invisibles, on conclut que c’est là un acte isolé, un acte sans cause ou plutôt qui est sa propre cause à lui-même. De là le labyrinthe de la liberté absolue. Un peu d’attention eût permis