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beurier. — philosophie de m. renouvier.

avec elle, parce qu’il y a incompatibilité entre cette fonction toujours tendue de sa nature et la série naturelle des pensées que mènent l’instinct, l’habitude et les accidents externes. L’incompatibilité existe également avec cette autre tension plus ou moins durable d’où quelque passion très-vive exclut ce qui n’est pas elle. Il est donc manifeste que la conscience de la conscience, distincte, soutenue, continuée, est une fonction volontaire, et que, quand nous la possédons, c’est que nous nous la donnons. Mais il faut pouvoir se la donner. Cette puissance paraît manquer aux animaux[1]. »

La volonté et la réflexion interviennent continuellement pour redresser nos jugements et dissiper les illusions qui naissent du jeu de la mémoire et de l’imagination : mais elles n’interviennent qu’autant qu’elles ont contribué à former ces jugements, et c’est pourquoi les animaux sont moins sujets que nous aux illusions[2]. On voit par là que le sens réfléchi de la réalité, la distinction nette du réel et de l’imaginaire est un effet de la volonté.

L’activité volontaire ne se montre pas moins dans le fait de la direction des associations d’idées et dans la remémoration. Comment cependant expliquer le rappel d’une idée qui, étant actuellement absente de la pensée, paraît ne pouvoir être l’objet d’aucune faculté ? Elle est absente en ce sens qu’elle n’est pas dans la conscience de la manière qu’elle va y être ; elle est présente confusément et virtuellement, comme la science possible et le savoir en général, par les rapports logiques qui la lient avec celles qui sont actuellement et nettement données. « Il s’opère donc une véritable création de pensées qui d’abord n’existaient point, ou qui n’existaient pas telles, ce qui est exactement équivalent. En ce sens, on sait, on cherche, on trouve, en voulant, ce qu’on ne sait pas ; le fait est certain, et il y a là une sorte de création, inexplicable comme tout ce’qui est à la racine des choses. Mais les sentiments obscurs, les pensées confuses, l’état des organes, et probablement aussi les perceptions qui leur sont propres et qui retentissent dans la conscience générale, aident à concevoir si ce n’est le passage de la puissance à l’acte, au moins la manière d’exister de la puissance pour un grand nombre de nos déterminations intellectuelles volontaires[3]. »

C’est à tort, selon M. Renouvier, qu’on a attribué à la volonté un pouvoir locomoteur. Qu’il y ait des mouvements corporels en relation avec des faits représentatifs, avec des faits de conscience, nul

  1. Psychologie, I, 316.
  2. Id., 120.
  3. Psychologie, id., 134. — Je suis obligé de laisser de côté d’intéressantes analyses sur les rapports de la volonté avec l’habitude, avec le sommeil et les songes. Voir Psychologie, I, 325, 343.