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parfaitement imprévoyables quant à l’être, à l’être donné ; c’est-à-dire que, un choix libre ayant lieu entre tous les possibles qui s’offrent pour l’avenir immédiat dans un cas particulier présent, tous, à l’exception d’un seul, deviennent impossibles à l’instant, et ce dernier passe de la possibilité à l’ètre, à la nécessité ; il prend rang dans l’ordre des choses avec la suite prolongée de ses conséquences, les unes dès lors nécessaires, les autres simplement possibles comme elles étaient avant[1]. »

Avoir compris que la liberté ne contredit pas la science et ne soulève aucune antinomie, et qu’on est en droit de l’accepter sans illogisme, c’est, comme nous le disions plus haut, l’avoir presque démontrée, et cela d’autant plus qu’aucune preuve directe ne peut être donnée de son existence réelle. À supposer, en effet, qu’il y ait une loi d’enveloppement des actes volontaires, cette loi déterminerait fatalement nos jugements, sans que cependant nous eussions conscience de sa pression. « La nécessité serait alors semblable à l’escamoteur qui, de toutes les cartes du jeu qu’il nous présente ouvert, sait nous faire prendre librement celle qu’il nous a prédestinée. » Kant déjà et Jules Lequier, après lui, avaient on ne peut mieux montré l’impossibilité d’expérimenter le libre arbitre. La volonté, dans l’acte libre, ne se croit pas déterminée : en résulte-t-il nécessairement qu’elle ne le soit pas ? Il suffit de faire observer que la pensée renferme une multitude d’éléments latents, de petites perceptions, de sensations infinitésimales qui échappent à la réflexion. Concluons avec Jules Lequier que : la non-conscience d’une contrainte n’équivaut pas à la conscience d’une non-contrainte. Il ne reste donc plus qu’un parti à prendre : étant indémontrable de sa nature, il faut que la liberté se pose et s’accepte, par un libre acte de foi en elle-même, comme un postulat. « L’analyse, dit M. Renouvier, fait pencher en faveur de la liberté, contre la nécessité, la balance du jugement. Mais de quel jugement ? d’un jugement libre, s’il est vrai que je délibère librement et que je ne suis point prédéterminé à recueillir et à combiner bien ou mal les éléments de ma conviction. Alors c’est à la liberté qu’il appartient de déclarer si la liberté est ou non. Le problème de la liberté se pose donc jusque dans la solution qu’on y donne, et on voit à quel point la liberté et la vérité sont liées[2]. »


C’est ainsi que l’auteur des Essais, qui ne fait que s’inspirer ici des idées de Jules Lequier, finit par ramener le problème du libre

  1. Psychologie, II, 334.
  2. Psychologie, II, 92.