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révolutions géologiques, enfin paru sur le globe avec les premiers représentants du type auquel il appartient par son organisation ?

Aujourd’hui l’homme se rencontre partout, occupe toute la terre ; mais ces populations si diverses sont-elles filles du sol qu’elles habitent ? ou bien l’espèce humaine, partie d’un certain nombre de points ou d’un seul, a-t-elle envahi peu à peu la surface du globe ? En d’autres termes, l’homme, aujourd’hui cosmopolite, a-t-il été primitivement plus ou moins cantonné ?

Les naturalistes admettent en général pour les plantes et pour les animaux des centres d’apparition bien distincts : telle plante ne se trouve que dans telle région ; telles espèces animales, inconnues au reste du monde, ne se sont rencontrées qu’en Australie. Mais y a-t-il ainsi des centres spéciaux d’apparition pour les différentes races humaines ? Agassiz l’a cru, mais à tort : il a méconnu des faits de la plus haute importance, commis de graves erreurs anthropologiques et ethnologiques. La géographie botanique et zoologique proteste contre sa division du globe en neuf grandes régions ou Royaumes, et plus encore contre sa prétention de rattacher une race humaine à chacun de ces centres d’apparition. D’une part, il n’y a aucune coïncidence déterminée et constante entre la flore et la faune d’une région : car par exemple, « des eaux d’un fleuve aux berges qui l’enferment, le contraste peut être frappant ; » d’autre part, on ne peut dire d’aucune race humaine qu’elle soit liée à telle faune ou à telle flore en particulier.

Mais l’homme pourrait néanmoins avoir pris naissance en plusieurs points du globe, et même partout où nous le rencontrons ; telle est la question à examiner. Eh bien ! on est d’abord en mesure de démontrer que l’homme n’a pu être originairement cosmopolite. En effet, il ferait en cela exception (ce qui est contre toute vraisemblance) à la grande loi qui assigne à toute espèce, à tout genre, à toute famille végétale ou animale, sans exception, une « aire naturelle, » c’est-à-dire un habitat principal, et, autour de ce centre, un cercle d’expansion plus ou moins vaste mais toujours limité. De Candolle a posé cette loi : « L’aire moyenne des espèces est d’autant plus petite, que la classe à laquelle elles appartiennent a une organisation plus parfaite. » Ce cantonnement progressif des êtres organisés à mesure qu’ils se perfectionnent, est une conséquence de la division même du travail organique, de la spécialité croissante des fonctions, de l’adaptation de plus en plus étroite à des conditions d’existence de plus en plus déterminées, en dehors desquelles la lutte pour l’existence devient nécessairement meurtrière. L’organisme humain, si élevé, a donc par lui-même comme tous les autres son milieu propre, son cantonnement naturel. Si l’homme en a pu franchir les limites, ce n’est qu’avec le temps, par son intelligence et son industrie.

Les lois de la géographie zoologique conduisent à assigner à l’homme un centre d’apparition unique, lequel « n’a pas dû être plus étendu que celui du gorille et de l’orang. » Or, la région où il y a le plus de rai-