Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, III.djvu/69

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
59
ANALYSESh. spencer. — Principes de Sociologie.

nos vêtements si variés, ou nos magnifiques parures ; entre un barbare chant de guerre et une symphonie ou un opéra, entre les dessins de l’homme des cavernes et nos galeries de tableaux, entre les récits guerriers de quelque tribu sauvage et nos épopées, nos drames, nos poëmes lyriques !

Tous ces produits de la vie sociale agissent, les uns sur les autres, et, ensemble, exercent une immense influence sur l’évolution, modifiant sans cesse les individus et la société tout entière, à mesure qu’ils sont eux-mêmes modifiés par la société et par les individus.

Tels sont dans leur ensemble les facteurs de toutes sortes qui déterminent l’évolution sociale : cette énumération donne une idée de la complication des phénomènes sociaux, et de la difficulté qu’en offre l’étude. Si l’on se rappelle, à présent, les autres obstacles, pour ainsi dire innombrables, signalés par l’auteur lui-même dans son Introduction à la science sociale, il semble bien difficile de ne pas conclure à l’impossibilité pure et simple de cette science, et l’on se demande si M. Spencer n’est pas le premier à désespérer de l’œuvre qu’il entreprend.

Il n’en est rien, cependant. Quelle que doive être la valeur de l’œuvre une fois accomplie, il faut reconnaître que c’est donner le spectacle d’un rare courage intellectuel et d’une singulière force d’esprit, que de faire si résolument une pareille tentative, avec si peu d’illusions sur les difficultés qu’elle présente.

Au reste, après cette vue synthétique des conditions de l’évolution sociale, M. Spencer, comme il fallait s’y attendre, se hâte d’en venir à l’analyse. En éliminant, du moins provisoirement, tous les « facteurs dérivés ou secondaires » pour n’étudier d’abord que les facteurs primitifs, il introduit aussitôt la simplicité et la clarté dans cette étude si compliquée et si obscure. Autant l’on est tenté de douter et de se mettre en défiance, quand on jette avec lui un regard d’ensemble sur le champ si vaste et presque inexploré de la science sociale, autant l’on est, sinon rassuré, au moins captivé, dès qu’on pénètre à la suite d’un guide si savant sur le terrain des faits.

M. Spencer, personne ne l’ignore, dispose, dans tous les genres d’études, d’un nombre de faits presque prodigieux. En même temps, il excelle à les rapprocher, à les grouper, à les faire parler. Si les généralisations qu’il en tire sont toujours d’une parfaite rigueur, c’est ce que l’on pourra se demander ; mais c’est une question à laquelle on ne saurait répondre avec toute justice et en pleine connaissance de cause, qu’après l’achèvement de son ouvrage et quand il aura donné toutes ses conclusions. Ce qui est sûr, c’est que les Principes de sociologie vaudront par l’extrême abondance des informations à l’égal des meilleures productions de l’auteur. Sans doute les philosophes sont surtout impatients de savoir si l’étude des phénomènes sociaux va enfin être constituée à l’état de science, avec un domaine déterminé, une méthode, un plan et des principes certains : voilà principalement ce qui nous importe. Mais,